Fatwa et attaques contre des journalistes dans les zones tribales
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Reporters sans frontières est extrêmement préoccupée par les attaques et les menaces dont sont victimes les journalistes pakistanais basés dans la zone tribale de Bajaur (Nord-Ouest), où des combats opposent les taliban et les forces de sécurité. Une fatwa a été lancée contre deux journalistes et une roquette a été tirée sur un club de la presse.
"Peu à peu, les zones tribales se vident de leurs journalistes en raison des violences et des menaces dirigées contre eux. Cet exode est de l'entière responsabilité des groupes taliban et des forces de sécurité qui négligent sans vergogne la sécurité et la liberté des médias. Les zones tribales, notamment celle de Bajaur, sont au c¦ur d'un conflit international de premier ordre, mais la liberté de la presse y est en voie de disparition. Nous appelons toutes les parties au conflit à cesser de s'en prendre aux journalistes qui ne sont ni des agents de l'Occident ni des supporters des taliban, mais des professionnels de l'information et rien d'autre", a affirmé Reporters sans frontières.
Selon le bilan annuel établi par Reporters sans frontières pour l'année 2008, le Pakistan est, après l'Irak, le pays où le plus grand nombre de journalistes ont été tués dans l'exercice de leur fonction. Sept professionnels des médias y ont perdu la vie.
En décembre 2008, un groupe taliban a diffusé un décret condamnant à mort deux journalistes basés dans la zone tribale de Bajaur. La fatwa a été diffusée sur l'une des radios FM clandestines opérées par un groupe fondamentaliste. "Ils méritent d'être tués", a affirmé un animateur de cette station clandestine. Anwarullah Khan et Irfanullah Jan ont également reçu des lettres de menaces les accusant d'être des "agents de l'Occident". Depuis, ils ne sortent plus de leur domicile à Khar, capitale de la zone tribale de Bajaur.
L'un des journalistes menacés a déclaré à Reporters sans frontières : "Je ne peux pas quitter mon domicile de peur d'être kidnappé ou tué. Je suis coupé du monde."
Le 13 décembre, une roquette a touché le Club de la presse de Khar, inoccupé depuis le début de l'opération de l'armée en août 2008. Une partie du bâtiment a été détruite. L'Union des journalistes des zones tribales (TUJ) a condamné cette attaque.
"Nous faisons notre travail dans un environnement extrêmement difficile et nous recevons des menaces de tous les côtés", a affirmé sous couvert de l'anonymat un journaliste de Khar. Il ne reste plus qu'une poignée de journalistes actifs à Bajaur, alors qu'ils étaient plus de vingt avant août. "Tous les autres ont abandonné la profession ou se sont réinstallés ailleurs. Les difficultés pour travailler comme journaliste sont au-delà de votre imagination", a-t-il déploré. Noor Hakim et Muhammad Ibrahim, journalistes originaires de Bajaur, ont été tués depuis juin 2007. Il n'a été procédé à aucune arrestation dans ces affaires.
Durant l'été 2008, des hommes armés ont effectué une descente au Club de la presse de Khar, malmenant les journalistes présents. Ils leur ont reproché de publier des articles hostiles. Les taliban accusent régulièrement les journalistes d'être des "agents de l'Amérique" ou du gouvernement pakistanais. En revanche, il est relativement aisé d'obtenir auprès d'eux des informations sur leurs opérations militaires.
Depuis août dernier, près de 500 000 habitants de Bajaur ont été contraints de quitter leurs domiciles en raison des combats intenses entre l'armée et les taliban.
Autocensure et précarité dans les zones tribales
Interrogés par Reporters sans frontières, des journalistes des zones tribales ont déclaré être contraints à l'autocensure en raison des menaces croissantes des taliban ou de leurs alliés locaux. "Je rends compte de moins de la moitié des événements qui ont lieu dans ma zone. Nous devons nous autocensurer si nous voulons rester en vie", a expliqué un journaliste pakistanais.
Un journaliste de Bajaur a expliqué qu'il était devenu très difficile de confirmer de manière indépendante le nombre de victimes civiles. "Si nous disons que des civils ont été tués par l'armée ou les militants, nous mettons notre vie en danger", a-t-il expliqué.
Lors d'une récente conférence organisée par l'organisation Intermedia, Nasir Mohmand, président de la TUJ, a dénoncé les violences, mais également la précarité économique qui frappe les membres de son association. "Certains médias pakistanais ne nous paient pas pour notre travail. Cela fragilise encore la situation des journalistes des zones tribales", a-t-til expliqué.
Si la couverture de la "guerre contre le terrorisme" est risquée, le travail des journalistes sur les violences interreligieuses est tout aussi difficile. "Un journaliste sunnite est sous la pression des dirigeants de sa communauté s'il ne met pas en avant les atrocités commises par les chiites. Et cela est vrai dans l'autre sens. Nous savons que des centaines d'innocents sont assassinés des deux côtés, mais nous ne pouvons pas en parler sereinement", a expliqué un journaliste de la zone de Kurram.
Publié le
Updated on
20.01.2016