Enquête RSF : Comment l'Égypte se rend complice du blocus informationnel imposé à Gaza
Depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, l’Égypte déplore publiquement une couverture biaisée des médias internationaux, tout en empêchant les journalistes de pénétrer dans la bande de Gaza via le poste-frontière de Rafah censé être sous son contrôle. Un double jeu qui participe du blocus informationnel imposé par Israël dans l’enclave palestinienne. Reporters sans frontières (RSF) réitère son appel à ouvrir les portes de Rafah.
Dans de rares confidences faites à la presse le 16 novembre dernier et dont RSF a pu obtenir un enregistrement audio, le ministre des Affaires étrangères égyptien Sameh Choukri, indiquait que toute “décision unilatérale” de son pays concernant le fait de laisser entrer des journalistes à Gaza pourrait avoir “des conséquences néfastes sur d’autres éléments comme l’acheminement de l’aide humanitaire”. Un tel choix risquerait selon lui d'être perçu comme “inapproprié” par Israël. Chantage à l’aide humanitaire ? Simple volonté de ne pas froisser Israël ? L’Égypte n’a en tout cas nullement l’intention d’ouvrir la porte de Rafah pour les journalistes comme le réclame RSF et de nombreux reporters installés dans le pays.
Au cours de notre enquête, plusieurs journalistes établis au Caire, la capitale égyptienne, ont confirmé qu’ils avaient reçu pour consigne de solliciter l’accord d’Israël pour entrer dans Gaza via le poste-frontière de Rafah. Pourtant ce dernier est censé être sous le contrôle des autorités égyptiennes. Celles et ceux qui ont effectué cette démarche se sont heurtés à une fin de non-recevoir de l’État hébreux. Dans une réponse audio que s’est procurée RSF, une chargée de relations presse du gouvernement israélien, interrogée par un journaliste à ce sujet, affirme ainsi ne pas être en mesure de délivrer une autorisation pour une point de passage sans contrôle israélien. “J’ai l’impression que c’est un prétexte. Je pense qu’ils vous font tourner en rond”, conclut-elle en parlant du processus d’accréditation en Égypte.
Selon une source à l’intérieur de la bande de Gaza qui connaît bien ce point de passage, c’est bien l’Égypte qui est aux commandes concernant les entrées comme les sorties par Rafah. Mais Israël contrôle le ciel. Dans les jours ayant suivi l’attaque du 7 octobre, les bombardements de Tsahal sur ce poste-frontière ont été interprétés au Caire comme un avertissement lancé à l’intention des autorités égyptiennes si ces dernières se mettaient à utiliser ce point de passage dans un sens contraire aux intérêts de l’État hébreux.
“Cette navette entre Israël et l’Égypte qui se rejette la responsabilité des refus d’accès montre qu’il existe un intérêt réciproque entre les deux États pour empêcher une couverture internationale de la situation dans la bande de Gaza. Si Israël est la première responsable de ce blocus informationnel, l’Égypte n’a cessé de s’en rendre complice ces dernières semaines. On ne peut faire semblant de déplorer une couverture médiatique inégale du conflit d’un côté, et empêcher les journalistes de se rendre sur place de l'autre.
Le double jeu de l’Égypte est savamment entretenu depuis le début de la guerre. Tout en verrouillant les accès et en rejetant la responsabilité sur Israël, les officiels égyptiens reprochent aux médias internationaux une couverture biaisée. Lors d’un point presse organisé le 24 octobre, le porte-parole du gouvernement, Diaa Rashwan, accuse ces derniers “d’humaniser la situation israélienne et de diaboliser celle en Palestine”.
Une semaine plus tard, pour désamorcer les critiques qui se multiplient sur ce double discours, un premier voyage de presse est organisé dans le Sinaï jusqu’à la frontière de Rafah. Une centaine de journalistes égyptiens et internationaux, basés au Caire, répartis dans des bus ont pu effectuer cette sortie dans des conditions très encadrées et sans pouvoir traverser la frontière. Insuffisant.
Le 16 novembre, 67 correspondants de la presse étrangère décident alors de réclamer l’ouverture de Rafah dans une lettre envoyée au porte-parole du gouvernement et au directeur du centre de presse pour les médias étrangers. Le courrier est resté sans réponse. La situation reste inchangée.
Sollicités, le ministre des Affaires étrangères et le porte-parole du gouvernement égyptien n’ont pas répondu aux questions de RSF.
Une frontière historiquement difficile d’accès pour les journalistes
“Il y a une culture de la censure, en particulier dans cette région du Sinaï aux portes de la Palestine, qui ne date pas de l’attaque du Hamas”, rappelle une journaliste en poste depuis une dizaine d'années en Égypte, qui souhaite garder l’anonymat. La zone est considérée comme très sensible et tous les sujets qui y sont traités peuvent provoquer des réactions épidermiques du pouvoir d'Abdel Fattah al-Sissi. Le 29 octobre dernier, la rédactrice en chef du site d'information en ligne Mada Masr, Lina Atallah, a été convoquée à une audition par le Conseil suprême de régulation des médias, suivie d'un interrogatoire un mois plus tard devant le parquet d'appel du Caire pour avoir traité de l’impact économique potentiel de l’arrivée de réfugiés palestiniens en Égypte via la frontière de Rafah. Le site a été suspendu 6 mois.
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