Un peu plus de dix jours avant les élections législatives au Pakistan, Reporters sans frontières dénonce l'inégalité de temps de parole accordé aux différentes formations politiques sur la chaîne PTV. Le monitoring des journaux télévisés, entre le 28 janvier et le 2 février, montre que ce déséquilibre est largement favorable au camp du président Pervez Musharraf, qui occupe près de 85 % du temps d'antenne.
Depuis le 28 janvier 2008, Reporters sans frontières réalise un monitoring de la couverture par la chaîne d'Etat PTV de la campagne des élections législatives du 18 février prochain. Malgré des efforts évidents pour donner la parole aux principales formations politiques pakistanaises, la majorité du temps d'antenne est favorable aux partis qui soutiennent Pervez Musharraf, au gouvernement fédéral et au chef de l'Etat lui-même. Entre le 28 janvier et le 2 février, les soutiens au chef de l'Etat ont concentré 84,9 % des sujets politiques (reportages, interviews, analyses, etc.) dans les quatre bulletins d'informations suivis par le monitoring.
"Le président Pervez Musharraf a tenu à rappeler lors de son récent séjour en Europe que les élections seront libres et justes. Mais l'absence d'équité dans la couverture de la seule chaîne nationale hertzienne démontre que ce n'est pas encore le cas. Il est urgent que la Commission électorale et le gouvernement fédéral interviennent pour que la chaîne accorde enfin le même temps d'antenne aux différentes formations politiques", a affirmé Reporters sans frontières qui avait déjà évoqué le manque de neutralité de PTV dans une liste de cinq problèmes majeurs à régler avant les élections du 18 février.
"Non content de maintenir un contrôle sur la ligne éditoriale de PTV, le gouvernement impose aux chaînes privées diffusées par le satellite et le câble un code de conduite drastique. Le 2 février, le ministre fédéral de l'Information a encore menacé les chaînes d'interdiction si elles ne respectaient pas ce code", a ajouté l'organisation.
Depuis le 28 janvier, Reporters sans frontières a chronométré les temps d'antenne accordés aux différentes formations politiques au cours des journaux télévisés de 10 heures, midi, 18 heures et 21 heures (le plus regardé au Pakistan). Les acteurs politiques ont été répartis en huit catégories : le président Pervez Musharraf, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, le parti présidentiel PML (Q) et ses alliés (MQM), le PML (N, opposition), le PPP (opposition), les partis nationalistes (notamment l'ANP), l'alliance d'opposition favorable au boycott APDM et la coalition fondamentaliste MMA.
Un net déséquilibre en faveur du PML (Q)
Sur les six jours observés, le PML (Q) et ses alliés obtiennent un peu plus de 46 minutes de temps d'antenne tandis que les deux principaux partis d'opposition ont bénéficié en cumulé de 40 minutes (28 minutes pour le parti de Nawaz Sharif et 12 minutes pour le parti de feue Benazir Bhutto). Ce qui représente un net déséquilibre : 17,4 % pour le PML (Q), 10,5 % pour le PML (N) et 4,6 % pour le PPP.
Certains jours, ce déséquilibre est encore plus écrasant. Ainsi, le 28 janvier, PTV a accordé 8 minutes et 10 secondes dans les quatre bulletins d'informations aux formations pro-Musharraf tandis que le PML (N) n'a obtenu que 3 minutes et 11 secondes, et le People's Party of Pakistan a bénéficié de seulement 3 minutes et 20 secondes. Pour la même journée, le gouvernement fédéral et le chef de l'Etat ont totalisé 31 minutes.
Les partis autonomistes et la coalition fondamentaliste MMA sont pratiquement absents des bulletins d'informations de PTV. Du 28 janvier au 2 février, seulement 30 secondes ont été accordées au MMA, tandis que les partis autonomistes, notamment du Baloutchistan ou des zones pachtounes, n'ont pas été évoqués du tout.
Au-delà de la répartition du temps d'antenne, Reporters sans frontières a noté que les commentaires des journalistes qui accompagnent les sujets sur le PML (Q) sont toujours positifs. Par exemple, un meeting du parti pro-Musharraf est toujours qualifié de "populaire" ou "de masse". Alors que le ton employé dans les sujets sur l'opposition est plus neutre.
Le monitoring a également révélé que le PML (Q) profite très régulièrement sur PTV de spots publicitaires dans lesquels son programme politique est largement détaillé. Les partis d'opposition n'ont pas acheté ou obtenu ce type de publicité.
Les explications de PTV
Interrogé par Reporters sans frontières, l'un des responsables de la rédaction de PTV a expliqué ces déséquilibres : "Nous couvrons les partis politiques quand ils ont des activités, et le PML (Q) organise plus d'événements que les autres. Nous avons une émission sur les élections dans l'après-midi au cours de laquelle tout le monde a la parole. Alors, pendant les journaux télévisés, nous nous concentrons sur les principaux hommes politiques". Un autre journaliste de PTV a précisé sous le couvert de l'anonymat que la rédaction n'avait pas reçu l'instruction d'appliquer une équité parfaite entre tous les candidats.
La Commission électorale n'a pas établi de règles précises sur la répartition du temps d'antenne pendant la campagne électorale. PTV a été incitée à promouvoir le pluralisme. Mais, selon nos calculs, la chaîne ne respecte même pas une règle communément admise pendant les campagnes électorales selon laquelle le temps d'antenne doit être réparti équitablement entre le pouvoir exécutif, la majorité parlementaire et l'opposition.
Près de 85 % pour le camp présidentiel
Sur la période du 28 janvier au 2 février, Pervez Musharraf, le gouvernement fédéral et les autorités provinciales obtiennent 67,5 %, donc plus des deux tiers du temps d'antenne. Si on y ajoute le PML (Q), on obtient 84,9% de sujets politiques consacrés au camp présidentiel. Le 2 février, plus de 35 minutes ont été accordées au Président, au gouvernement et aux candidats de la majorité alors que les activités de l'opposition n'ont été abordées qu'un peu moins de deux minutes.
Le chef de l'Etat bénéficie d'une large couverture par PTV. Le 1er février, il a bénéficié de 4 minutes et 30 secondes de temps d'antenne alors que le PPP a été évoqué 25 secondes et le PML (N) moins de 3 minutes.
Et pourtant, le code de conduite pour les médias audiovisuels, défini en novembre 2007 par la Commission électorale, précise que "la couverture des élections sur les télévisions doit être juste, impartiale et équilibrée". La Commission a donné à l'Autorité de régulation des médias électroniques du Pakistan (PEMRA) la responsabilité de "surveiller" le respect de ces règles.
Et les standards internationaux sur le sujet vont dans le même sens. Dans son guide pour les observateurs électoraux, l'Union européenne a défini ainsi le travail des médias publics/gouvernementaux qui "doivent accorder un accès aux partis de gouvernement et d'opposition (...) Les principes mêmes de la gouvernance démocratique nécessitent que l'électorat puisse faire des choix en connaissance de cause. (...) Si les populations doivent pouvoir bénéficier d'une couverture des affaires publiques, les événements liés à la campagne ne doivent pas être confondus avec les nouvelles de l'Etat."