Après trois semaines d'audience devant la Cour spéciale de Glebe (Australie), Reporters sans frontières rappelle les principaux faits mis à jour lors de l'enquête sur le meurtre de Brian Peters et de quatre collègues reporters. L'organisation demande aux autorités australiennes et indonésiennes de se mobiliser pour que l'on passe de la phase de l'enquête à celle de la justice.
Depuis le 5 février 2007, la Cour spéciale de Glebe (Sydney, Australie) enquête sur la mort du reporter Brian Peters et de quatre de ses collègues australien, néo-zélandais et britannique, en octobre 1975 à Balibo (Timor). La juge a procédé à de nombreux interrogatoires, mais a décidé de suspendre les audiences jusqu'au 1er mai prochain. Après trois semaines d'enquête, il est possible d'affirmer que :
1- Brian Peters et les quatre autres journalistes ne sont pas morts lors d'un échange de tirs, ni suite à un tir de mortier. Ils n'étaient pas non plus abrités dans une position des combattants du Fretilin. Extrait des témoignages lors des audiences :
-> "P 1", ancien combattant du Fretilin : "Il n'y avait plus de combats quand l'armée indonésienne est entrée dans Balibo."
-> Le colonel Subico, ancien officier du Fretilin : "Les journalistes n'ont jamais participé à des opérations armées."
2- L'assassinat des cinq journalistes était prémédité par l'armée indonésienne et les paramilitaires timorais.
-> Fernando Mariz, ancien garde du corps du colonel indonésien Dading : "Lorsque j'ai informé le colonel Dading de la présence des journalistes à Balibo, il m'a répondu qu'ils avaient préparé de bons traitements pour eux, sous-entendant que les journalistes allaient être assassinés."
-> Ian Cunliffe, avocat et ancien membre d'une Commission d'enquête officielle sur les services secrets, rapportant les déclarations d'un officier indonésien : "Sur vos instructions, nous avons localisé et tué les cinq journalistes. Nous attendons à présent vos instructions pour savoir ce que nous devons faire des corps, ainsi que des effets personnels des journalistes."
3- Les journalistes ont été tués puis leurs corps brûlés afin de faire disparaître toute preuve.
-> "M 4", présent sur les lieux du crime : " Les journalistes, une fois morts, avaient été revêtus d'uniformes de l'armée portugaise et photographiés avec des armes auprès d'eux. Les corps ont ensuite été brûlés dans la maison chinoise."
4- Des paramilitaires ont justifié le crime en affirmant que les journalistes étaient des militants communistes.
-> Jill Jolliffee, journaliste australienne, a rapporté les propos de l'un des chefs de l'Union démocratique timoraise (paramilitaire), Lopez da Cruz : "Nous avons tué les journalistes communistes de Balibo et nous souhaitons que cela serve d'exemple au reste de la communauté des reporters."
5- Les officiers indonésiens Dading Kalbuadi, Yunus Yosfiah, Louis Taolin (chef des services secrets), et les chefs paramilitaires Lopez da Cruz et Jose Celestino étaient présents sur les lieux du quintuple meurtre pendant ou juste après les faits.
-> Jose Celestino, fondateur du parti KOTA (pro-indonésien) et décédé depuis, a déclaré en 1976 avoir été aux côtés de Dading, Yosfiah et Taolin lors des faits.
6- Yunus Yosfiah, ancien officier de l'armée indonésienne devenu ministre par la suite, a dirigé l'invasion de la localité de Balibo le 16 octobre 1975. Il est suspecté d'avoir tué au moins l'un des journalistes, Brian Peters.
-> "Glebe 4", ancien combattant dans l'armée indonésienne : "Je pense que Yunus a tué Brian Peters."
-> "Glebe 7", ancien combattant du Fretilin : "J'ai vu un officier tirer sur Brian Peters."
7- Le gouvernement australien a détruit des documents pouvant compromettre le gouvernement indonésien dans cette affaire.
-> Gary Lindworth, ancien analyste des services secrets australiens : "John Bennets, l'ancien chef-adjoint de l'Office of Current Intelligence (OCI), a ordonné la destruction de documents prouvant que l'Australie était au courant du caractère prémédité du crime, dès le lendemain des faits."
8- Le Premier ministre australien de l'époque, Gough Whitlam, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense, ont été avertis du meurtre des journalistes, moins d'une heure après les faits.
-> Robin Dix, linguiste de la marine australienne : "J'ai fait parvenir le message au Premier ministre, au ministre de la Défense ainsi qu'au ministre des Affaires étrangères moins d'une heure après avoir reçu un message indiquant le caractère prémédité du crime."
9- Le gouvernement australien a menti lorsqu'il a démenti publiquement l'implication de l'armée indonésienne dans l'assassinat.
-> Gary Lindworth : "Lorsque j'ai écrit un mémo sur l'assassinat des journalistes, John Bennets a immédiatement ordonné la destruction de cette note car il fallait préserver les bonnes relations avec l'Indonésie."
A présent, il est urgent que l'on passe d'une phase d'enquête à une phase de justice afin que les coupables du meurtre de Brian Peters et de ses quatre collègues soient appréhendés et jugés. Il est également important que ceux qui ont protégé les assassins soient sanctionnés. Reporters sans frontières souhaite que :
1- Yunus Yosfiah soit présenté, de gré ou de force, devant la Cour de Sydney. Dans le cas où Yunus Yosfiah refuserait de venir témoigner, que le gouvernement australien saisisse Interpol pour l'émission d'un mandat d'arrêt international à son encontre.
2- Gough Whitlam et ses proches collaborateurs de l'époque viennent témoigner devant la Cour de Sydney.
3- Le gouvernement australien présente les pièces manquantes ayant disparu lors du déménagement des bureaux du service des renseignements intérieurs australiens (ASIO) de Melbourne à Canberra.
4- Des responsables américains, néo-zélandais et britanniques viennent renseigner la Cour de Sydney sur les informations recueillies à l'époque par leur pays respectif sur l'assassinat des reporters.
5- La Cour s'intéresse aux raisons qui ont poussé les autorités de Canberra et de Washington, notamment Henry Kissinger, à mentir sur ce quintuple meurtre.
6- Les ambassades australienne, néo-zélandaise, britannique et américaine à Jakarta interviennent auprès des autorités compétentes pour obtenir la déclassification des documents officiels sur les événements de Balibo.
7- Les audiences à venir se déroulent publiquement.
"Les Cinq de Balibo" étaient un groupe de journalistes travaillant pour deux chaînes de télévision australiennes, en reportage dans la ville frontalière de Balibo, au Timor oriental. Ils ont été tués le 16 octobre 1975 par des paramilitaires timorais et des soldats indonésiens qui préparaient l'invasion du pays. Le groupe comptait le reporter australien Greg Shackelton, l'ingénieur du son australien Tony Stewart, le cameraman néo-zélandais Gary Cunningham, le cameraman britannique Brian Peters et le reporter britannique Malcolm Rennie.