Alors que deux ans se sont écoulés depuis la mort du journaliste d'origine arménienne, Reporters sans frontières se joint aux proches de Hrant Dink pour réclamer la fin de l'impunité pour les membres des forces de l'ordre qui étaient au courant d'un projet d'attentat contre lui.
Le 19 janvier 2009 marque le deuxième anniversaire de l'assassinat du journaliste turc d'origine arménienne, Hrant Dink, abattu le 19 janvier 2007 par Ogun Samast, devant les locaux d'Agos, l'hebdomadaire qu'il dirigeait à Istanbul.
Reporters sans frontières exprime son entière solidarité à la famille, aux collègues et aux amis du journaliste. “Nous nous joignons à tous ceux qui pleurent Hrant Dink et qui veulent que justice soit rendue. Nous réclamons que les différents volets de l'affaire soient jugés ensemble, seule condition pour qu'un terme soit mis à l'impunité scandaleuse dont bénéficient les membres des forces de l'ordre qui n'ont rien fait pour empêcher l'assassinat du directeur d'Agos”, a déclaré l'organisation de défense de la liberté de la presse.
Le fait que des policiers et des gendarmes avaient eu connaissance du projet d'assassinat du journaliste sans réagir ne fait plus de doute. Le 2 décembre 2008, un rapport des services du Premier ministre a mis en cause la responsabilité directe des forces de l'ordre dans l'affaire. “Les renseignements faisant état d'un préparatif d'attaque de la part de Yasin Hayal (ultranationaliste, l'un des commanditaires présumés, ndr) le fait que le patriarche arménien, Mesrob Mutafyan, ait demandé protection pour les institutions arméniennes (suite au climat de tension qui a régné à l'issue de la pénalisation de la négation du génocide arménien en France) ainsi que les événements survenus lors des procès de Hrant Dink, justifiaient la plus grande vigilance. Or, on peut considérer que la Direction de la sécurité a failli à sa tâche en négligeant de placer sous protection Hrant Dink”, peut-on lire dans ce rapport officiel.
Le même rapport recommande l'ouverture d'une enquête sur le chef du renseignement général à Ankara, Ramazan Akyürek. Ce dernier était le chef de la police de Trabzon avant l'assassinat du journaliste et il avait accepté qu'Erhan Tuncel, autre commanditaire présumé, travaille comme informateur pour la police de la ville. On lui reproche de ne pas avoir réalisé un suivi suffisant des informations qui lui étaient transmises et de ne pas avoir coordonné les efforts des différents services pour que Hrant Dink soit protégé. Un autre rapport, du ministère de l'Intérieur indique que toute la hiérarchie de la police d'Istanbul avait fait preuve de négligence dans cette affaire.
Pour l'instant, seuls des membres de la gendarmerie de Trabzon ont été poursuivis, alors que la police d'Istanbul jouit d'une impunité totale. En effet, le 27 juin 2008, la cour régionale administrative d'Istanbul a interdit toute enquête sur le chef de la police, Celattin Cerrah, et sept autres fonctionnaires, dont le chef du renseignement Ahmet Ilhan Güler, estimant qu'ils n'avaient commis aucune erreur. Les avocats de la famille Dink affirment que la loi 4483 relative aux procédures judiciaires contre les fonctionnaires d'Etat a constitué un obstacle majeur à l'ouverture de poursuites. Ils déclaraient récemment : ”Ce sont justement les hauts représentants que nous accusons dans cette affaire qui, jusqu'à maintenant, ont informé les procureurs qui mènent les enquêtes. Ce n'est pas un hasard si nos plaintes pour « falsification de documents » n'ont pas abouti.” Les avocats réclament que les huit membres des forces de l'ordre poursuivis, le soient en vertu de l'article 83 du code pénal qui sanctionne la “négligence ayant provoqué la mort d'autrui”, et non, comme c'est le cas pour l'instant, pour “négligence simple”.
Les avocats ont saisi à trois reprises la Cour européenne des droits de l'homme et porté plainte devant le Haut Conseil de la magistrature, contre les trois juges ayant exclu tout recours juridique à l'encontre du chef de la police d'Istanbul, Celattin Cerrah, et ses collaborateurs.
Depuis le 2 juillet 2007, le procès des dix-neuf principaux accusés s'est ouvert devant la 14e chambre de la cour d'assises de la ville. Ils sont inculpés notamment d'“homicide volontaire” et d'“appartenance à une organisation terroriste”.
Par ailleurs, deux gendarmes sont jugés à Trabzon par un tribunal de police. Six autres membres de la gendarmerie sont inculpés, parmi eux figure le chef de la gendarmerie de la ville.
Plusieurs manifestations ont été organisées à Istanbul en hommage au journaliste. Un rassemblement à l'initiative des “Amis de Hrant Dink” a eu lieu le 19 janvier à 14h30 sur le lieu de l'assassinat, dans le quartier d'Osmanbey. Et le 22 janvier, un concert aura lieu dans le quartier de Beyoglu. La recette sera reversée à la Fondation internationale Hrant Dink. Enfin, une exposition se déroulera jusqu'au 6 février prochain, sur le thème “Hrant Dink et la fraternité des peuples”.