Reporters sans frontières dénonce les nouvelles restrictions imposées aux "fixeurs" chinois de journalistes étrangers et aux visiteurs étrangers en général, en vue des Jeux olympiques de Pékin. Les autorités entravent également de plus en plus fréquemment le travail des journalistes étrangers au Sichuan, suite aux manifestations de parents d'enfants morts dans l'effondrement de leurs écoles.
Reporters sans frontières est alarmée par l'adoption de deux nouvelles régulations destinées à renforcer le contrôle sur les "fixeurs" chinois de journalistes étrangers et sur les étrangers en général qui vont se rendre en Chine pendant les Jeux olympiques. L'organisation dénonce également le contrôle policier accru à l'encontre des journalistes étrangers qui enquêtent au Sichuan sur la colère des parents d'enfants morts dans l'écroulement de leurs établissements scolaires.
"Les espoirs de voir la Chine s'ouvrir au monde avant les Jeux olympiques s'évanouissent peu à peu. Les autorités ont adopté des mesures de régulation hostiles aux étrangers, suspectés de vouloir perturber les JO, et tentent d'imposer plus de contrôles aux collaborateurs chinois des correspondants étrangers. Le gouvernement, sous l'impulsion du Département de la propagande, restreint également le travail de la presse chinoise et internationale au Sichuan", a affirmé l'organisation.
"A moins de deux mois de l'ouverture des Jeux à Pékin, ces mesures qui frisent la paranoïa sont bien éloignées du slogan One World, One Dream. Nous demandons au Comité international olympique (CIO) de faire pression sur les autorités de Pékin pour que ces dispositions soient annulées et que la presse internationale puisse travailler librement au Sichuan", a ajouté Reporters sans frontières.
"Pour le moment, le CIO n'a pas réagi à ces régulations archaïques. Il a préféré, au contraire, rappeler dans un mémo adressé en mai aux comités olympiques nationaux que leurs athlètes ne devaient manifester d'aucune manière sur les sites olympiques", a ajouté l'organisation.
Contrôle des fixeurs chinois
Des collaborateurs chinois de médias étrangers ont été priés de se plier à une nouvelle disposition qui vise à les enregistrer auprès des autorités. Le texte dont Reporters sans frontières a obtenu copie a été adressé par un organisme d'Etat, le CIECCO, qui est chargé d'aider les entreprises étrangères, notamment les médias, à recruter des employés chinois. Si le Comité organisateur des JO de Pékin (BOCOG) insiste depuis, janvier 2007, pour que les médias internationaux emploient des traducteurs choisis par des intermédiaires officiels, cette régulation va plus loin. Elle propose aux médias de "sélectionner et nommer les candidats appropriés". Si les journalistes étrangers veulent présenter leur propre fixeur, ils devront fournir un document d'identité, un CV, une preuve de casier judiciaire vierge et un certificat médical. La régulation prévoit qu'un contrat sera établi entre l'employeur et l'employé.
Interrogé par Reporters sans frontières, le Club des correspondants étrangers en Chine (FCCC) a affirmé que cet enregistrement des collaborateurs chinois auprès d'agences gouvernementales "allait potentiellement augmenter la bureaucratie, les dépenses et le contrôle par les autorités". Le FCCC a souhaité que les médias étrangers puissent dans le futur embaucher des Chinois comme journaliste ou photographe, ce qui est pour l'instant impossible.
Par ailleurs, Reporters sans frontières a eu connaissance d'un document envoyé par la division "Visa" du centre des médias du BOCOG qui prie les journalistes d'envoyer des informations précises sur leurs projets de couverture en Chine, telles que les lieux et les personnes à interviewer, afin d'obtenir un visa J-2, c'est-à-dire pour arriver la veille ou l'avant-veille de la cérémonie d'ouverture. Le BOCOG demande également une lettre de recommandation de l'employeur, excluant de fait les journalistes free-lance.
Cette nouvelle disposition intervient dans un contexte de restriction de délivrance des visas à entrées multiples et l'augmentation du délai d'obtention de visas "touriste" et "business", même à partir de Hong Kong. Les autorités de Pékin refusent d'expliquer ces difficultés.
Un rappel à l'ordre aux étrangers
Par ailleurs, le 2 juin 2008, le BOCOG a rendu public un document en chinois à l'intention des étrangers qui vont se rendre en Chine pendant les JO. Sous la forme de questions-réponses, le BOCOG affirme que les étrangers doivent respecter les "lois chinoises quand ils sont en Chine et ne doivent pas menacer la sécurité nationale de la Chine et s'en prendre à la stabilité sociale".
Les autorités interdisent l'accès du territoire aux "terroristes", "travailleurs du sexe", "trafiquants de drogue", malades du Sida ou de la tuberculose et aux "subversifs". Plusieurs points de cette règlementation visent directement ceux qui souhaiteraient manifester pendant les JO : "Les rassemblements publics, les défilés et les manifestations ne peuvent avoir lieu sans autorisation préalable de la police." Ces régulations visent également à restreindre la liberté d'opinion. Il est ainsi interdit d'apporter des documents, des disques ou des enregistrements audio critiques de la Chine.
La presse entravée au Sichuan
Confrontées à la colère des parents des enfants tués dans des écoles du Sichuan, les autorités tendent à entraver le travail de la presse étrangère. Le 6 juin, deux reporters de l'Agence France-Presse ont été empêchés d'entrer dans Wufu, une ville où des manifestations ont eu lieu après l'écroulement d'une école primaire. Le 5 juin, des envoyés spéciaux étrangers ont été interpellés et expulsés de Juyuan et Hanwang, deux villes où des établissements scolaires se sont effondrés. Le 3 juin déjà, des photographes avaient été écartés d'un rassemblement d'une centaine de parents à Dujiangyan. La police a retenu pendant quelques heures un reporter et un photographe de l'agence japonaise Kyodo. Selon le FCCC, le 4 juin, deux correspondants néerlandais ont été bloqués par des policiers alors qu'ils tentaient d'entrer à Dujiangyan.
La presse chinoise s'est vue interdite de couvrir librement ces événements. Des journalistes chinois ont confirmé au New York Times que l'ordre venait de Pékin. De même, le site China Media Project (http://cmp.hku.hk/) a révélé que le chef de la propagande dans la province du Guangdong (Sud) avait ordonné aux médias locaux de retirer leurs journalistes du Sichuan. Le même site basé à Hong Kong a indiqué que le chef de la propagande Li Changchun s'était rendu dans le Sichuan.
La Sécurité publique a également été chargée de mettre fin aux "rassemblements illégaux" et de faire pression sur les victimes pour qu'elles ne parlent plus à la presse étrangère. Et les médias d'Etat continuent de louer les efforts du gouvernement. Le site de la chaîne CCTV est allé jusqu'à détourner les images d'une manifestation en hommage aux victimes du massacre du 4 juin 1989 à Hong Kong pour en faire celles d'un rassemblement pour les morts du tremblement de terre du 12 mai.
Enfin, l'intransigeance sécuritaire des organisateurs de Pékin 2008 provoque de vives tensions avec les chaînes de télévision détentrices des droits. L'agence Associated Press a révélé, le 8 juin, qu'une réunion tenue à Pékin à la fin du mois de mai avait tourné à l'affrontement entre le BOCOG, le CIO et des chaînes internationales. En effet, les autorités chinoises refusent la couverture en direct de certains événements, notamment sur la place Tiananmen et dans la Cité interdite, et tardent à accorder les permis nécessaires à l'acheminement des équipements de retransmission.