Deux nouveaux journaux suspendus

Le tribunal de Bichkek a suspendu temporairement, jeudi 18 mars, et condamné à une amende de 5 millions de soms (82 000 euros) deux journaux pour "atteinte à l'honneur du président kirghiz", Kourmanbek Bakiev. Achyk Saïassat et Nazar, les deux titres incriminés, sont accusés d'avoir publié la tribune d'un opposant en exil affirmant que le président, arrivé au pouvoir après un coup d'Etat, n'avait aucune légitimité. Les deux journaux ont décidé de faire appel de cette décision. Leur propriétaire, Babirbek Djennbekov, a déclaré qu'en attendant l'instruction de l'affaire, ceux-ci sortiraient sous un autre nom. Il prévoit ainsi de publier dans Alibi (lui-même condamné en 2007 à payer une lourde amende), dès le 26 mars, le contenu du journal Achyk Saïassat. Quant aux sites Internet Centrasia.ru et Azattyk.org, bloqués depuis le 9 mars, ils sont à nouveau accessibles depuis le Kirghizstan. Leur consultation rencontre cependant encore des obstacles, comme une navigation lente et certaines fonctions défectueuses. --------------------------------------------------------------------- 17.03.2010 : Retour de la censure tous azimuts : jusqu'où ira l'escalade ? Reporters sans frontières a exprimé sa consternation devant le harcèlement sans précédent des médias indépendants et d'opposition par les autorités kirghizes. Après une année 2009 marquée par la couverture médiatique partiale de l'élection présidentielle et une importante vague de violences contre les journalistes, le cinquième anniversaire de la "révolution des tulipes" semble confirmer l'alignement du Kirghizstan, long temps porteur d'espoirs démocratiques, sur ses voisins autocratiques d'Asie centrale. Alors que les principaux sites Internet d'information indépendante et les émissions radiotélévisées du service en langue kirghize de Radio Free Europe/Radio Liberty sont inaccessibles depuis une semaine, la liste des médias harcelés par les autorités s'allonge de jour en jour. Depuis le 9 mars, les internautes kirghiz sont privés d'accès aux portails de référence ferghana.ru, centrasia.ru et paruskg.info (dont le rédacteur en chef, Guennady Pavlyuk, a été assassiné en décembre dernier). Le 10 mars, ce sont les médias locaux retransmettant les programmes en langue kirghize de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), qui ont été contraints d'interrompre leurs activités. La chaîne de télévision privée nationale Echos de Manas a justifié la rupture de son contrat avec RFE/RL en invoquant les menaces des autorités de ne pas renouveler sa licence si elle continuait à retransmettre les émissions Inconvenient Questions et Azattyk Plus. Quatre stations de radio locales de Bichkek (capitale) et Naryn (nord du pays), qui relayaient habituellement les émissions de RFE/RL depuis que celles-ci avaient été écartées de l'audiovisuel public, ont également mis fin à ces retransmissions. Enfin, le 15 mars, les émissions d'information de la BBC ont à leur tour été suspendues de la chaîne publique NTRK, officiellement en raison de problèmes techniques. Tous ces médias avaient fait état de l'arrestation en Italie d'un homme d'affaires proche de l'administration présidentielle, Yevgeny Gourevitch, soupçonné de liens avec la mafia. Sur fond de remobilisation de l'opposition politique kirghize, ce nouveau scandale de corruption est récemment venu nourrir les préoccupations des critiques, de plus en plus nombreux, qui dénoncent la monopolisation du pouvoir par l'entourage du président Bakiev, au profit d'une gestion clanique et corrompue. Or ce sont des reproches similaires qui avaient cristallisé l'exaspération populaire et précipité la chute de l'ancien régime lors de la "révolution des tulipes" en mars 2005. A son tour, l'opposition réclame aujourd'hui le départ du président Kourmanbek Bakiev, et a appelé à manifester massivement à l'occasion de son congrès national (Kurultai) le 17 mars. La presse d'opposition, qui relayait ces appels, a été à son tour directement prise pour cible. Le 15 mars, l'intégralité des 7000 exemplaires du journal Forum a été saisie sans explication par la police à Bichkek, tandis que son rédacteur en chef Ryskeldi Mombekov et cinq autres journalistes étaient brièvement interpellés. Le lendemain, les rédacteurs en chef des journaux d'opposition Achyk Sayasat et Nazar, Babyrbek Jeenbekov et Kenjebek Arykbaev, ont été convoqués par des fonctionnaires du parquet général et interrogés sur des articles parus récemment. Le même jour, dans le sud du pays, le journaliste indépendant Abdouvakhab Moniev était pris à partie avec deux militants du parti d'opposition Ata-Meken. Déjà agressé cet été à Bichkek, le rédacteur en chef de presskg.com venait de couvrir une manifestation de soutien à l'ancien ministre de la Défense, Ismaïl Isakov, emprisonné dans le district d'Alay, lorsque son véhicule a été assailli par un groupe d'inconnus à l'approche de la ville de Karool (district d'Ouzgen). Les agresseurs ont cassé les carreaux de la voiture et violemment frappé les trois hommes, avant d'emporter le dictaphone et la caméra du journaliste, en l'enjoignant de "bien se tenir". Les violations de la liberté de la presse se précipitent et semblent gagner chaque jour en intensité, a déploré Reporters sans frontières. En harcelant les médias indépendants et d'opposition, et en maintenant l'impunité pour ceux qui se rendent coupables d'agressions, les autorités portent une part de responsabilité déterminante dans la dégradation extrêmement préoccupante de la situation dans le pays. L'administration présidentielle doit reprendre son sang-froid au plus vite et cesser de rendre les médias victimes de sa propre paranoïa. Nous en appelons aux partenaires internationaux du Kirghizstan, et en particulier à l'OSCE, pour rappeler le régime à ses engagements en matière de liberté de la presse. Le 15 mars, une manifestation en défense de la liberté de la presse s'est tenue devant le bureau de l'OSCE à Bichkek. Les manifestants étaient munis de pancartes en russe, en kirghiz et en anglais, proclamant entre autres : "Pas touche à la vérité" ou "Vous ne pourrez pas fermer toutes les bouches". Arrêté en février en Italie, Yevgeny Gourevitch intervenait comme consultant financier au sein de l'Agence centrale pour le Développement, les Investissements et les Innovations, créée par le président Bakiev en novembre 2009 et dirigée par son fils, Maksim Bakiev. Il est accusé par la justice italienne d'avoir participé à une importante affaire d'extorsion de fonds à l'encontre de plusieurs sociétés italiennes et d'avoir blanchi l'argent de criminels de la péninsule.
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Updated on 20.01.2016