Descente musclée au siège de la télévision publique tchèque
Organisation :
Reporters sans frontières fait part de sa consternation après le raid mené par la police militaire dans les locaux de la chaîne de télévision publique tchèque Česká televize (ČT).
« Nous sommes profondément choqués par les méthodes aberrantes employées lors de cette perquisition, tout comme par son objet. Il est très inquiétant que dans un Etat membre de l’Union européenne, un principe aussi fondamental que la protection des sources journalistiques puisse être violé de la sorte. Ceci est suffisamment rare dans l’espace européen pour mériter d’être très fermement condamné.
Nous prenons acte de la rapide réponse politique du ministre de la Défense Alexandr Vondra, qui a suspendu dès samedi le chef de la police militaire et deux de ses adjoints. Mais de nombreuses questions demeurent sans réponses. »
Vendredi 11 mars 2010, entre 21h et 22h, une dizaine d’individus armés et masqués ont fait irruption dans les locaux de la chaîne publique. Au terme d’une fouille de plusieurs heures dans le bureau du journaliste Karel Rozanek et de deux de ses collègues, ils sont repartis en emportant ordinateurs, carnets de notes, CD, agendas, et divers objets personnels.
Karel Rozanek est connu en République tchèque pour ses reportages d’investigation sur d’importantes affaires de corruption. Selon leur mandat, les policiers militaires étaient à la recherche d’un rapport de 2007 qui avait alors causé la chute du chef des renseignements militaires, Miroslav Krejcik. Le contenu de ce rapport, à l’époque classé secret défense, reste des plus mystérieux. M. Krejcik l’aurait mis au point afin de discréditer des fonctionnaires de premier plan du ministère de la Défense, avant de se rétracter en affirmant que le rapport était faux. M. Rozanek aurait récemment reçu une copie de ce rapport, sur lequel il préparait une série d’émissions. D’après une source proche du dossier, la perquisition n’a cependant pas abouti à sa saisie.
Des agents en civil de la police militaire s’étaient déjà présentés la veille pour réclamer le rapport, mais devant le refus de la direction, ils avaient quitté les lieux en plaçant sous scellés le bureau de Karel Rozanek. La porte-parole de la police militaire, Michaela Cvanova, avait alors affirmé que les fonctionnaires avaient agi « sur ordre verbal d’un procureur ».
Que signifie donc « l’ordre verbal d’un procureur » ? Et comment comprendre que des méthodes anti-terroristes aient été mises en œuvre en relation avec des journalistes ne faisant qu’exercer leur métier ? La présence d’un secret défense suffit-elle d’ailleurs à justifier la compétence de la police militaire, dont le mandat s’exerce habituellement au sein de l’armée et dans les bases militaires ?
Enfin, en faisant main basse sur les données de Karel Rozanek et de ses deux collègues, la police militaire est potentiellement en mesure de remonter jusqu’à leurs sources sur de nombreuses autres affaires, notamment des scandales de contrats publics liés aux milieux de la défense. Cela expose gravement ces sources et viole un principe central du journalisme d’investigation.
Bien que la République tchèque occupe la 23e place sur 178 dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, plusieurs développements récents inquiètent la profession. C’est le cas en particulier de la hausse prévue de la TVA sur la presse écrite, qui menace gravement un secteur déjà structurellement souffrant.
Photos: ČTK
Publié le
Updated on
20.01.2016