A la veille des élections législatives du 2 avril 2004, Reporters sans frontières a recensé une série d'agressions et de menaces à l'encontre de journalistes. L'organisation redoute une détérioration de la situation au cours des derniers jours de campagne électorale.
A la veille des élections législatives du 2 avril 2004, Reporters sans frontières a recensé une série d'agressions et de menaces à l'encontre de journalistes. L'organisation redoute une détérioration de la situation au cours des derniers jours de campagne électorale.
Reporters sans frontières lance un appel aux candidats pour qu'ils fassent cesser les violences et les menaces sur la presse. L'organisation rappelle que plusieurs journalistes ont été tués ou agressés lors d'élections précédentes. C'est le cas du journaliste de Jaffna, Mayilvaganam Nimalarajan, assassiné en octobre 2000. Tous les partis politiques et les groupes armés, notamment les Tigres tamouls (LTTE), doivent garantir la sécurité des journalistes qui couvrent les élections du 2 avril 2004.
Violences contre la presse
Dans la nuit du 28 mars 2004, une grenade a été lancée sur le domicile de Raynor Silva, directeur général du groupe audiovisuel Asian Broadcasting Corporation (ABC), à Colombo. Un garde a été blessé et plusieurs véhicules ont été endommagés lors de cette attaque nocturne. Elle avait probablement pour but d'intimider le directeur qui défend ses cinq stations FM face à une certaine hostilité du ministre des Médias, Lakshman Kadirgamar. En février dernier, le ministère avait informé ABC de l'annulation de la licence d'exploitation de sa chaîne de télévision hertzienne.
La police sri lankaise a effectué une perquisition des locaux du journal The Sunday Leader, le 28 mars, à Colombo. Selon le directeur du journal, Lasantha Wikramatunga, les forces de l'ordre n'avaient pas de mandat. Selon lui, cette perquisition illégale ferait partie du harcèlement exercé par le gouvernement à l'encontre de son hebdomadaire connu pour ses enquêtes.
Le 10 mars, Wimal Weerawansa, responsable de la propagande du Front de libération populaire (JVP, parti nationaliste et marxiste allié de la présidente Chandrika Kumaratunga), a menacé au téléphone Siri Ranasingha, rédacteur en chef du quotidien en cingalais Lankadeepa. Il lui reprochait la publication dans les pages du journal d'une publicité d'un autre parti politique qui aurait mis en cause sa réputation. Le dirigeant du JVP a, depuis, présenté ses excuses. Selon l'organisation de journalistes FMM, un autre responsable de publication, Dinesh Vihagun Fernando de l'hebdomadaire Laknada a été menacé de représailles par des hommes armés.
Une équipe de la chaîne de télévision Young Asia Television a été attaquée le 2 mars 2004 lors d'un rassemblement du Jathika Hela Urumaya (JHU, parti extrémiste bouddhiste) à Kandy (centre du pays). L'équipe réalisait des interviews au milieu de la foule lorsque des membres du JHU l'ont encerclée et agressée. La cassette des enregistrements a été détruite et une femme de l'équipe a été prise à partie lorsque les membres du JHU ont découvert qu'elle était chrétienne. Déjà, en février, des supporters du JHU avaient malmené deux cameramen d'une chaîne privée lors d'un meeting à Panadura.
Interférences politiques dans les médias publics et privés
Une fois encore, la couverture de la campagne électorale par les médias publics et privés n'a pas été juste et équitable. Les médias publics, sous le contrôle de la présidente Chandrika Kumaratunga depuis son "coup de force" de novembre 2003, ont largement relayé les idées de son parti et de ses alliés politiques. Pour mettre fin à cette utilisation abusive des médias d'Etat, la Commission électorale indépendante a pris le contrôle, le 29 mars 2004, de la télévision et de la radio publiques, en vertu de l'article 27 du 17e amendement de la Constitution. Lakshman Perera, un haut fonctionnaire à la retraite, a été nommé à la tête des médias audiovisuels publics. Il a affirmé qu'il contrôlerait également la presse écrite gouvernementale jusqu'à la proclamation des résultats. Reporters sans frontières se félicite de cette décision qui est un précédent important en Asie pour le respect de l'indépendance des médias publics en période d'élections.
Selon la principale organisation de journalistes FMM, les "médias d'Etat sont devenus les porte-voix du SLFP et du JVP (partis de l'alliance dirigée par Chandrika Kumaratunga), mais ils ont également tenté d'endommager l'image des autres partis." En effet, le 18 mars, Laskman Gunasekara, rédacteur en chef de l'hebdomadaire d'Etat Sunday Observer, avait été suspendu de ses fonctions de responsable éditorial pour avoir, semble-t-il, défendu l'indépendance des médias publics dans le contexte des élections. Déjà le 11 mars, le journaliste Asif Hussein avait été licencié de cet hebdomadaire pour avoir "causé des dommages irréparables à la réputation de cette entreprise en heurtant les sentiments de la communauté mondiale des bouddhistes". En janvier 2003, il avait publié un article polémique sur la relique de la dent du Bouddha conservée au Sri Lanka. Selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ), le directeur d'une radio publique de la province d'Uva (Sud-Est) a été écarté de la station par les autorités. Les journalistes ont protesté contre cette ingérence politique.
Harim Peiris, le directeur de la télévision nommée par la Présidente, a qualifié la décision de la Commission électorale de regrettable et inattendue. "A aucun moment, le chef de la commission n'a pu spécifier une violation précise au code de conduite", a-t-il expliqué à la presse. Ce partisan du chef de l'Etat a mis en question la crédibilité de la Commission électorale qui, selon lui, n'a pas imposé aux médias privés, qui soutiennent le parti du Premier ministre Ranil Wickremasinghe, le respect du code de conduite. Plusieurs médias privés sont en effet dirigés par des proches du chef du gouvernement.
L'Observatoire des élections libres (FPW) a révélé que dans la période du 9 février au 9 mars, les médias privés avaient très largement favorisé le parti du Premier ministre. La chaîne privée Sirasa TV a accordé 41 minutes de son bulletin d'information de 19 heures aux activités de l'UNP et seulement 19 minutes aux partis soutenant la Présidente. Cette couverture biaisée se retrouve dans les programmes d'information de la chaîne TNL, dont le propriétaire est le frère du Premier ministre.
Reporters sans frontières demande à la Commission électorale indépendante d'intervenir auprès des propriétaires de médias privés pour obtenir des explications sur ces avantages accordés au parti de Ranil Wickremasinghe.
Incitation à la haine dans les médias
Reporters sans frontières regrette vivement que certains médias privés développent un discours haineux à l'encontre des minorités religieuses et ethniques.
L'organisation a recensé la publication dans certains journaux cingalais de propos pouvant inciter à la haine. Les comptes rendus des meetings du parti extrémiste bouddhiste Jathika Hela Urumaya (JHU) sont ainsi reproduits sans mises en garde de certaines rédactions alors qu'ils contiennent des attaques racistes contre les Tamouls et les musulmans. Ainsi, le quotidien Lankadeepa a publié régulièrement des discours de candidats du JHU ouvertement hostiles aux Tamouls.
Cette violence verbale est également le fait des deux factions tamoules qui s'opposent depuis le retrait, en mars dernier, du chef de guerre Karuna du mouvement des Tigres tamouls (LTTE). Un journaliste a récemment témoigné : "Depuis la rébellion de Karuna, nous vivons tous dans la crainte. Si nous écrivons une chose positive sur un candidat qui soutient Prabhakaran ou un article critiquant Karuna, nous aurons du mal à survivre." Aucun journaliste n'a directement été visé dans cette lutte entre factions tamoules, mais l'assassinat à Batticaloa (est du pays) d'un candidat tamoul favorable à Karuna fait craindre le pire.
Dans ce contexte de tensions politique et communautaire, Reporters sans frontières demande aux médias de ne pas inciter à la violence et au racisme.