Demande de sanctions contre vingt-quatre officiels haïtiens
Inquiets de l'impunité dont bénéficient en Haïti les auteurs d'exactions contre les journalistes, le Réseau Damoclès, association de lutte contre l'impunité, et Reporters sans frontières demandent à l'Union européenne et au Congrès des Etats-Unis de prendre des sanctions individuelles à l'encontre de vingt-quatre officiels haïtiens.
- Colin Powell, secrétaire d'Etat américain.
- Joseph R. Biden Jr. et Henry J. Hyde, respectivement président de la commission des affaires étrangères du Sénat et de la Chambre des représentants.
- Christopher J. Todd et Elton Gallegly, respectivement président de la sous-commission pour les affaires occidentales du Sénat et de la Chambre des représentants.
Monsieur Josep Piqué i Camps Ministre des Affaires étrangères Présidence de l'Union européenne Plaza de la Provincia 1 28071 Madrid Espagne Paris, le 11 janvier 2001 Monsieur le Ministre, Le Réseau Damoclès, association de lutte contre l'impunité, et Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, demandent au Conseil des ministres de l'Union européenne, de prendre des sanctions individuelles à l'encontre des officiels haïtiens qui, par action ou omission, entravent les enquêtes destinées à faire la lumière sur les assassinats de Jean Dominique, directeur de Radio Haïti Inter, assassiné le 3 avril 2000, et de Brignol Lindor, journaliste à Radio Echo 2000, assassiné le 3 décembre 2001. Nos deux organisations sont extrêmement préoccupées par le fait que l'impunité qui règne dans ces deux affaires répond à une stratégie des autorités pour museler les journalistes jugés trop critiques envers le gouvernement. Les atteintes à la liberté de la presse sont systématiques. Ainsi, en 2001, une quarantaine de journalistes ont été agressés ou menacés sans que les auteurs de ces exactions, pour la plupart des partisans de Fanmi Lavalas (au pouvoir), ne soient inquiétés. Plus d'une dizaine de journalistes ont été ainsi contraints à l'exil. Le 3 décembre 2001, le journaliste Brignol Lindor, responsable de l'information de Radio Echo 2000, une station privée de Petit-Goâve, a été tué à coup de pierres et de machettes. Le 30 novembre, Dumay Bony, adjoint au maire de Petit-Goâve, membre de Fanmi Lavalas, avait appelé à appliquer à des membres de l'opposition la formule "zéro tolérance", en citant le nom du journaliste. Lancée par le président Aristide, la politique "zéro tolérance" donne carte blanche aux policiers pour traiter les délinquants pris en flagrant délit. Selon une enquête réalisée par l'Association des journalistes haïtiens (AJH), des membres de l'organisation populaire "Domi Nan Bwa", proche de Lavalas, ont reconnu avoir assassiné Brignol Lindor. Le parquet de Petit Goâve a délivré neuf mandats d'arrêt, contre des membres de "Domi Nan Bwa" et contre Dumay Bony. A ce jour, aucun de ces mandats n'a été exécuté. L'impunité persiste également dans l'affaire Jean Dominique, journaliste et analyste politique abattu le 3 avril 2000, dans la cour de sa station, Radio Haïti Inter. Connu pour son indépendance de ton, Jean Dominique critiquait aussi bien les anciens duvaliéristes et les militaires, que les grandes familles de la bourgeoisie ou, peu avant sa mort, ceux qu'ils soupçonnait, au sein du parti Lavalas, le parti du président Jean-Bertrand Aristide, de vouloir "détourner ce mouvement de ses principes". L'enquête sur son assassinat a rencontré de nombreux obstacles et n'a, à ce jour, toujours pas abouti. Ainsi, le premier juge d'instruction chargé de l'affaire, Jean-Sénat Fleury, a abandonné le dossier suite à des pressions. Le 26 juillet 2000, il avait invité Dany Toussaint, qui n'était pas encore sénateur, à être entendu comme témoin. Celui-ci s'était présenté accompagné d'un groupe de "chimères" (hommes de mains recrutés dans les quartiers populaires de la capitale), venu hurler des slogans hostiles sous les fenêtres du palais de justice. Le juge Claudy Gassant a pris la succession du dossier en septembre 2000. A plusieurs reprises, il a été menacé d'une arme par des représentants de l'Etat, au rang desquels, le député Millien Rommange (Fanmi Lavalas), le commissaire de police Paul Evens Saintune et des membres du service de sécurité du palais présidentiel. Les mesures de sécurité promises au juge par le ministre de la Justice, Gary Lissade, ont tardé à être mises en place et ont régulièrement été retirées. En juin 2001, Claudy Gassant a démissionné, avant de revenir sur sa décision quelques jours plus tard. Le Sénat fait également obstruction à l'enquête. En novembre 2000, Claudy Gassant avait à son tour invité le sénateur Dany Toussaint à être entendu comme témoin. Le Sénat s'est opposé à cette demande, mettant en avant l'immunité parlementaire du sénateur. Le 21 février 2001, Dany Toussaint s'est finalement présenté volontairement devant le juge. Après avoir été entendu à plusieurs reprises par ce dernier, Dany Toussaint a été inculpé en mai. Dénonçant un "vaste complot", le sénateur a alors entamé une procédure de récusation du juge Gassant sur la base de témoignages obtenus illégalement en prison. En août 2001, Claudy Gassant a demandé au Sénat de voter la levée de l'immunité du sénateur. A ce jour, cette institution ne s'est toujours pas prononcée. Par ailleurs, des personnes suspectées d'avoir participé à l'assassinat de Jean Dominique sont mortes dans des conditions troublantes. Ainsi, Jean-Wilner Lalanne, soupçonné d'avoir servi d'intermédiaire entre les commanditaires et les exécutants, est mort en juin 2000, peu après son arrestation, suite à une opération bénigne. De même, en novembre 2001, la mise à mort par une foule de manifestants de Panel Rénélus, assassin présumé de Jean Dominique, au lendemain de son arrestation par la police, est entourée de nombreuses zones d'ombres. Claudy Gassant affirme qu'il été "livré à la foule" par les policiers. Enfin, la direction de la police judiciaire n'aurait donné aucun ordre pour faire exécuter les mandats d'arrêt délivrés contre Richard Salomon et Franck Joseph, respectivement bras droit et garde du corps de Dany Toussaint, suspectés d'avoir participé à l'assassinat de Jean Dominique. Par ailleurs, Paul Raymond, porte-parole de TLK (Ti Kominote Legliz), et René Civil, porte-parole de Jeunesse Pouvoir Populaire (JPP) ont tenu une conférence de presse en septembre 2001, alors que des mandats d'arrêt avaient été délivrés contre eux. Face aux violations systématiques de la liberté de la presse en Haïti mettant en péril la démocratie et l'Etat de droit, nous vous demandons de prendre deux types de sanctions à l'encontre des officiels haïtiens qui, de par leur position d'autorité, empêchent les enquêtes de progresser et maintiennent un climat d'impunité pour les auteurs d'exactions contre les journalistes. Informées des sanctions économiques imposées par l'Union européenne à la République d'Haïti, nos deux organisations considèrent néanmoins que des mesures ciblées seraient plus efficaces pour le rétablissement la liberté de la presse et l'Etat de droit dans ce pays. En espérant que notre démarche retiendra toute votre attention, et dans l'attente d'une réponse de votre part, nous vous prions d'accepter, Monsieur le Ministre, l'expression de notre plus haute considération. |
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Fernando Castello Président de Reporters sans frontières | Robert Ménard Président du Réseau Damoclès |