Décision du Conseil d’État sur la requête de RSF : CQFD, dix réponses aux contre-vérités

La décision du Conseil d’État sur requête de Reporters sans frontières (RSF), demandant au régulateur de l’audiovisuel français de réviser son analyse de la mise en œuvre des principes de pluralisme et d’indépendance par la chaîne CNews suscite des réactions manipulatoires et des questionnements légitimes. RSF rétablit les faits.

 

1/ Le Conseil d’État juge, l’Arcom régule et Reporters sans frontières défend la liberté, le pluralisme et l’indépendance du journalisme

  • RSF est une organisation non gouvernementale dont le mandat est la “promotion de la liberté, du pluralisme et de l’indépendance du journalisme, notamment par la défense de ceux qui incarnent ces idéaux”
  • Au cours de l’année 2021, RSF a relevé des pratiques au sein de la chaîne de télévision CNews qui contrevenaient aux obligations légales d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information. Il était donc parfaitement conforme à son mandat de saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
  • L’Arcom a notamment pour mission de “permettre l’accès des publics à une offre audiovisuelle pluraliste et respectueuse des droits et des libertés”. Devant l'inaction de l’Arcom, RSF a saisi le Conseil d’État, devant lequel peuvent être portées les décisions de l’autorité de régulation. 
  • Au terme de plus de deux ans de procédure, l’arrêt rendu le 13 février 2024 vient annuler la décision de l’Arcom (le refus d’agir du régulateur du 5 avril 2022) et donne raison à RSF sur le besoin d’un contrôle effectif et substantiel des obligations d’indépendance et de pluralisme de CNews.

 

2/ Affirmer que RSF voudrait restreindre la liberté d’expression est une ineptie 

  • Non seulement la démarche de RSF respecte la liberté d’expression, mais elle vise même à la garantir. RSF défend la liberté, l’indépendance et le pluralisme du journalisme, fondement de la liberté d’opinion et d’expression, qui suppose le droit de chaque citoyen à accéder à une information fiable.  
  • Plusieurs membres de l’équipe de RSF ont payé leur défense des libertés de leur vie et de leur liberté. Les accusations sont donc tout simplement indignes.
  • Des exceptions légitimes sont prévues en droit international et national pour la liberté d’expression, mais ce n’est absolument pas en jeu ici. La démarche de RSF vise au contraire à ce que toutes les visions puissent être développées sur toutes les antennes. Elle vise à élargir la liberté d’expression.
  • Les Français réclament le pluralisme à l’intérieur des médias. Notre tour de France en bus au printemps 2022 l’a prouvé. À travers de nombreux échanges citoyens dans 20 villes et villages de France, une demande pressante : que les médias assurent davantage de pluralité et de profondeur dans les débats et l’information proposés. 

 

3/ La démarche de RSF est apolitique et n’exprime pas de préférence pour une ligne éditoriale ou une autre

  • Nos actions sont strictement apolitiques et non partisanes. La direction et l’équipe de RSF ont à cœur de défendre les mêmes principes partout dans le monde, sans considération pour les convictions ou les croyances des journalistes soutenus. 
  • L’organisation défend des journalistes de tout bord, en distinguant bien les journalistes des militants et des activistes. 
  • La requête de RSF au Conseil d’État sur le manquement à la loi de l’Arcom ne porte en aucun cas sur la ligne éditoriale de CNews. L’organisation n’a aucune préférence pour une ligne ou une autre. Elle défend des principes qui valent pour tous. 

 

4/ Le Conseil d’État n’a pas appelé au “fichage” politique des journalistes 

  • Ni le Conseil d’État, ni RSF, ni l’Arcom ne laissent entrevoir le “fichage” des journalistes. Par sa décision, le Conseil d’État impose à l’Arcom d’élaborer de nouveaux moyens de contrôle du respect du pluralisme pour l’ensemble des médias audiovisuels. Le Conseil d’État ne les fixe pas, pas plus que RSF. Ce travail appartient à l’Arcom.

 

5/ Le Conseil d’État affirme que le pluralisme dans l’audiovisuel ne doit pas se cantonner au comptage des temps de parole des politiques. C’est ce que dit la loi.

  • Jusqu’à maintenant, seul le décompte des temps de parole des personnalités politiques est appliqué et ce dans des conditions insatisfaisantes. La décision du Conseil d'État dispose que “en s'en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques pour l'appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l'information, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986”. Cette loi parle d’assurer le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion”.

 

6/ La décision du Conseil d’État s’appliquera à tous les médias audiovisuels, publics comme privés

  • L’arrêt contraint l’Arcom à proposer des moyens de garantir effectivement le pluralisme et l’indépendance de l’information. Il se fonde en revanche sur le cas d’espèce de CNews, chaîne dont la dérive de l’information vers l’opinion est emblématique des dérives causées par une absence de régulation effective. L’Arcom est donc tenue de rendre une décision sur CNews mettant en œuvre de nouveaux moyens de régulation qui seront appliqués à l’ensemble des médias audiovisuels. 
  • La convention signée entre CNews et l’Arcom permet à la chaîne un droit d’occupation des ondes hertziennes. Cette exploitation oblige les chaînes et des contreparties d’intérêt public sont attendues : le pluralisme interne en fait partie, tout comme l’honnêteté et l’indépendance de l’information. 
  • Le Conseil d’État demande à l’Arcom de proposer, dans les six prochains mois, une nouvelle décision relative à CNews qui comprenne d’autres moyens pour garantir l’indépendance et le pluralisme, dont elle est tenue de s’assurer du respect.
  • Le renouvellement de 15 conventions de chaînes à horizon du 1er janvier 2025 pourrait donc être impacté.

 

7/ La mise en œuvre de la décision ne devra surtout pas déboucher sur une usine à gaz

  • RSF ne recommande pas de méthode particulière. L’organisation se borne à montrer les insuffisances du système actuel.
  • Selon les termes du rapporteur public du Conseil d’État, si “le contrôle plus global du respect du pluralisme des courants de pensée est délicat à mettre en œuvre, cela ne justifie pas le renoncement du régulateur à le faire respecter”. 
  • Le rapporteur public se réfère, à titre d’exemple, aux études de chercheurs tels que Julia Cagé, Nicolas Hervé, Moritz Hungel et Camille Hurvoy qui proposent de compléter la liste des “personnalités politiques” identifiées (élus, porte-parole de partis…) avec l’ensemble des contributeurs aux think tanks français marqués politiquement, celle des participants aux universités d’été des différents mouvements politiques, ainsi que la liste des signataires de tribunes en faveur de tel ou tel candidat.
  • Par ailleurs, le chercheur Nicolas Hervé (Médiatisation des candidat.e.s à l’élection présidentielle 2022 dans l’audiovisuel) a conçu pour sa part une modélisation fondée non sur le temps de parole des candidats mais sur les citations des candidats.

 

8/ RSF a saisi l’Arcom uniquement sur CNews car la chaîne est emblématique d’une dérive : celle du passage d’une chaîne d’information vers une chaîne d’opinion

  • De l’opinion et non de l’information : La chaîne est emblématique d’une dérive : celle du passage d’une chaîne d’information vers une chaîne d’opinion. Le slogan même d’une campagne de communication de CNews le démontre : “venez avec vos convictions, vous vous ferez une opinion.” Or, CNews est censé être selon la convention signée avec l’Arcom un “service consacré à l’information”. Le journalisme, en tant qu’exposé des faits (hard news) a quasiment disparu de l’antenne au produit du commentaire. 13 % d’information pour 87 % d’opinion sur Cnews. C’est le ratio observé dans les émissions Midi News et Soir Info, entre le 31 janvier et le 4 février 2022, par le sémiologue et professeur émérite en sciences de l'information et de la communication à l'université Sorbonne-Nouvelle, François Jost. 
  • L’absence de pluralisme : Le pluralisme est également quasiment éteint sur la chaine dont les plateaux regroupent des invités majoritairement de droite et d’extrême-droite (plus des 3/4 des présences en plateau (78 %), selon la même étude).
  • Le manque d’indépendance : L’indépendance de la chaîne pose question : elle est inféodée aux intérêts industriels de Vincent Bolloré, et porte sa vision idéologique, comme RSF a pu le démontrer dans son enquête “Système B”. La charte déontologique du groupe Canal+ et son comité éthique attestent d’un contournement des principes du journalisme au lieu d’en être les garants comme le demande la loi.

 

9/ L’émission “L’heure des Pros” du mercredi 14 février, dans le genre Don’t look up, a apporté la preuve que le débat contradictoire y est impossible

  • Sévèrement critiquée sur CNews dès la décision connue, et objet de sérieuses contre-vérités, RSF a décidé de tenter de porter la contradiction sur la chaîne par l’intermédiaire de son secrétaire général, Christophe Deloire.
  • La façon dont l’émission, “L’Heure des Pros” animée par Pascal Praud, s’est déroulée, a malheureusement confirmé l’intégralité des critiques que RSF formule à l’attention de la chaîne : un faux entretien, un débat inexistant, où la place des faits est réduite à la portion congrue, où la contradiction est impossible et où l’honnêteté de l’information laisse à désirer.
  • La réponse de CNews et de l’ensemble des médias du groupe Bolloré est outrancière, allant jusqu’à créer une équivalence scandaleuse avec Charlie Hebdo avec le slogan “Je suis CNews”. 

 

10/ La décision aura un impact d’ici six mois

  • Le Conseil d’État demande à l’Arcom de proposer, dans les six prochains mois, une nouvelle décision relative à CNews qui comprenne d’autres moyens pour garantir l’indépendance et le pluralisme, dont elle est tenue de s’assurer du respect.
  • Le renouvellement de 15 conventions de chaînes à horizon du 1er janvier 2025 pourrait donc être impacté.
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