Crise politique en Turquie : jusqu'où ira la censure ?
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Reporters sans frontières dénonce vigoureusement l'interdiction faite aux médias d'évoquer une enquête portant sur des convois d'armes à destination de la Syrie, qui pourraient avoir été organisés par les services secrets turcs (MIT).
A deux reprises, courant janvier 2014, des véhicules soupçonnés de transporter des armes ont été interceptés par les forces de l'ordre dans les régions de Hatay et Adana, proches de la frontière syrienne. Ils ont néanmoins pu poursuivre leur route après l'intervention des autorités régionales, et les policiers responsables des fouilles ont été sanctionnés. Ces incidents ont alimenté les analyses de la presse sur une lutte de pouvoir entre l'exécutif turc et des pans de la justice, soupçonnés d'être sous l'influence de la communauté religieuse de Fethullah Gülen. L'affrontement fratricide entre ces deux anciens alliés domine l'actualité turque depuis l'éclatement en décembre 2013 d'une série de scandales de corruption qui éclaboussent le gouvernement.
Le 13 février 2014, un tribunal d'Adana a interdit aux médias de publier toute information relative aux enquêtes sur les convois d'armes présumés, qualifiées de « secrets d'Etat », jusqu'à la fin des investigations. La décision, rendue publique sur le site du Conseil supérieur de l’audiovisuel (RTÜK), s'applique à tous les médias et tous les supports.
« Cet acte de censure caractérisée viole le droit de la population turque d'être informée sur un sujet d'intérêt général. Sous prétexte de sécurité nationale, les autorités tentent à nouveau d'étouffer un débat légitime sur la politique étrangère turque et l'instrumentalisation des institutions dans la guerre que se livrent le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan et la confrérie Gülen. Nous demandons à la justice de lever immédiatement cette interdiction disproportionnée. Dans un contexte aussi polarisé, il est essentiel que toutes les parties respectent le travail et l'indépendance des journalistes, dans le respect de la déontologie professionnelle et en-dehors de tout agenda politique », déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de Reporters sans frontières.
Fortes inquiétudes pour la liberté de la presse
Cette décision, qui n'est pas sans rappeler la censure qui avait frappé la couverture des attentats de Reyhanli en mai 2013, intervient dans un contexte très dégradé pour la liberté de la presse en Turquie. Le 16 février, des centaines de journalistes ont manifesté à Istanbul pour protester contre la cybercensure et l'immixtion du gouvernement dans la politique éditoriale des grands médias. Quelques jours après l'émergence d'enregistrements qui attestent de cet interventionnisme des autorités, le Premier ministre a reconnu, le 11 février, avoir téléphoné à un dirigeant de la chaîne HaberTürk pour lui demander de retirer des écrans un bandeau qui mentionnait une déclaration du président du parti d'opposition nationaliste MHP. La multiplication de ce type de révélations accentue la prise de conscience des pressions de l'exécutif turc sur les principaux organes de presse. Les relations incestueuses entre le pouvoir et certaines holdings avaient déjà été mises en évidence par l'ampleur de l'autocensure sur la révolte de Gezi, à l'été 2013. Le 7 février, les autorités ont expulsé le journaliste azerbaïdjanais Mahir Zeynalov, marié à une citoyenne turque et qui vivait dans le pays depuis quatre ans. Le correspondant du quotidien anglophone Today's Zaman, proche de la confrérie Gülen, était poursuivi au pénal pour « insulte au Premier ministre » pour des messages critiques postés sur Twitter. Cette expulsion d'un journaliste étranger, une première depuis 1995, est intervenue deux jours après le vote par le Parlement d'une loi renforçant drastiquement la censure d'Internet. Classée 154e sur 180 pays dans le classement mondial 2014 de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières, la Turquie compte pas moins de vingt-huit journalistes et collaborateurs emprisonnés en lien avec leurs activités professionnelles. (Photo: Ozan Kose / AFP)Publié le
Updated on
20.01.2016