Crise politique au Sri Lanka : RSF inquiet pour l’indépendance des médias

A la suite de sa nomination contestée, vendredi dernier, les militants favorables au nouveau Premier ministre Mahinda Rajapakse ont envahi les rédactions des médias d’Etat pour en prendre le contrôle. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à respecter la sécurité physique des journalistes et l’indépendance éditoriale des médias.


Les journalistes se retrouvent au cœur des luttes de pouvoir qui déchirent depuis ce week-end la classe politique sri-lankaise. Vendredi 26 octobre, le président Maithripala Sirisena a limogé son Premier ministre Ranil Wickramasinghe. A sa place, il a nommé l’ancien président Mahinda Rajapakse, tristement célèbre pour avoir figuré, durant ses mandats entre 2005 et 2015, en bonne place dans la liste mondiale des prédateurs de la liberté de la presse établie par RSF.


Les choses n’ont pas traîné : quelques instants après sa prise de fonction, des militants de son parti, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), emmenés par l’ancien ministre de l’Information Keheliya Rambukwella, ont envahi les salles de rédaction des différentes médias d’Etat. Aidés par des leaders syndicaux rattachés au SLPP, ils ont pris le contrôle des deux chaînes de télévision de service public, Rupavahini et ITN, des stations de radio de la Sri Lanka Broadcasting Corporation et du groupe de presse Lake House.


Les partisans de Mahinda Rajapakse ont fait pression dans la soirée pour redéfinir les “une” du Daily News et des deux principaux hebdomadaires du groupe, Silumina et le Sunday Observer, dont la rédactrice en chef, Dharisha Bastians, a été forcée de céder tout pouvoir éditorial. En première page le lendemain, titres, photos et éditoriaux étaient tous à la gloire du retour au pouvoir de l’ancien président.


“Ton heure a sonné !”


Au même moment, le vice-directeur d’ITN, Subhash Jayawardena, recevait un avertissement des militants du SLPP : lui et plusieurs de ses confrères seraient attaqués s’ils ne quittaient pas immédiatement les locaux de la chaîne. Ils ont finalement réussi à s’échapper, non sans avoir affronté une foule menaçante leur criant “Ton heure a sonné !”.


“La violence de la reprise en main des médias d’Etat par les nervis de Mahinda Rajapakse est absolument intolérable, dénonce Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons toutes les parties à faire preuve de responsabilité en garantissant la sécurité des journalistes et en respectant leur indépendance éditoriale afin que les citoyens bénéficient d’informations impartiales. Nous relayons les vives inquiétudes des reporters sri-lankais pour qui l’actuelle crise constitutionnelle rappelle les pires heures des mandats de Mahinda Rajapakse.”


Impunité


“Nous ne pouvons pas oublier la terreur d’Etat exercée contre les journalistes durant [son] règne, a rappelé à RSF Lasantha Ruhunage, rédacteur en chef du journal Anidda et ancien président de l’Association des journalistes du Sri Lanka. Tant de journalistes ont été harcelés, attaqués, tués… Sans compter les nombreux cas de reporters disparus.”


Contrairement aux promesses formulées par le président Sirisena lors de son arrivée au pouvoir en 2015, la quasi-totalité des crimes commis contre les journalistes sont restés impunis.


Le Sri Lanka, sur lequel RSF vient de publier une étude sur la propriété des médias, figure à la 131e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse de 2018.

Publié le
Mise à jour le 30.10.2018