Crise nationale: le droit à l’information de plus en plus menacé
Organisation :
La contestation au Venezuela prend une tournure violente et les journalistes qui la couvrent sont en première ligne. Au travers d’actes de violence et de répression brutale, les forces de l’ordre et des groupuscules paramilitaires autoproclamés se sont érigés en obstacle au travail des journalistes. La polarisation entre médias pro-gouvernementaux et d’opposition est à son paroxysme, fruit d’une tension qui perdure depuis les élections d'avril 2013. A cette occasion, Reporters sans frontières avait déjà appelé les candidats à s’engager en faveur du pluralisme et émis des demandes de protection des acteurs de l’information.
Face à la situation critique de la liberté de l’information et de la sécurité des journalistes, Reporters sans frontières adresse une lettre ouverte au Président de la République bolivarienne du Venezuela, Nicolás Maduro.
Monsieur Nicolás Maduro
Président de la République bolivarienne du Venezuela Monsieur le Président, Au nom de Reporters sans frontières, je tiens à vous exprimer une forte inquiétude devant la dégradation de la situation de la liberté de l’information au Venezuela. Notre organisation internationale, qui défend la liberté prévue par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme, et ne promeut aucun biais ni n’est alignée sur aucun intérêt diplomatique ou privé, est particulièrement préoccupée par les difficultés auxquelles les journalistes sont confrontés lors de la couverture des manifestations qui se succèdent dans votre pays depuis le début du mois de février 2014, ainsi que par votre choix de renforcer la censure en réponse au mouvement de contestation. A ce jour, l’organisation a recensé plus de 70 incidents visant les acteurs de l’information, à savoir au moins 57 agressions (physiques ou verbales) et 16 arrestations, la plupart accompagnées de vol ou de destructions de matériel, ainsi que l’attaque contre les locaux de la chaîne de télévision nationale VTV. Les journalistes sont visés par la Garde nationale bolivarienne et par la Police nationale bolivarienne, comme par certains manifestants et groupuscules paramilitaires qui profitent du mouvement de protestation pour semer la terreur. Dans le climat actuel, marqué par une forte tension, ce chiffre menace d’augmenter si des dispositifs de protection des acteurs de l’information ne sont pas mis en place rapidement. Reporters sans frontières rappelle qu’en vertu de la résolution 19/35 du 18 avril 2012 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les manifestations “contribuent à la jouissance des droits civils, politiques, économiques et sociaux”. Le rôle des journalistes pendant ce mouvement de contestation est donc essentiel dans une démocratie ouverte, afin d’informer la population et de témoigner de la réaction des forces de l’ordre. Les propos tenus par certains membres de votre gouvernement ne font qu’envenimer la situation. Delcy Rodríguez, ministre de la Communication et de l’Information, en réponse aux plaintes exprimées publiquement par le syndicat national des professionnels de la presse et par le Collège National des journalistes, a déclaré le 23 février dans une interview accordée à la chaîne Globovisión : “les manifestants font état d’agressions perpétrées à l’encontre des journalistes, mais ni moi, ni le Procureur général n’en avons entendu parler”. Je peux vous assurer que les cas documentés par Reporters sans frontières et d’autres ONG telles que Espacio Público, l’IPYS et Human Rights Watch ne relèvent en rien de l’imaginaire. Des représentants de Espacio Público ont d’ailleurs accompagné le photographe Gabriel Osorio déposer une plainte auprès du Bureau du Défenseur du peuple et du Procureur. Reporters sans frontières vous demande de former urgemment une commission d’enquête parlementaire sur les nombreuses exactions commises contre les professionnels de l’information depuis le début du mois de février 2014, afin que ces agressions ne demeurent pas impunies. Devant l’ampleur de la contestation, vous avez fait le choix de la censure. Le 11 février dernier, le directeur général de la Conatel a averti les journalistes par communiqué de l’interdiction de couvrir tout événement violent, sous peine de sanctions. Une censure stricte a touché dès le lendemain la chaîne de télévision colombienne NTN24 avant de s’étendre aux réseaux sociaux. L’accès aux photos hébergées sur Twitter a alors été bloqué de manière temporaire. Le 20 février, vous avez annoncé votre intention d'interdire la chaîne américaine CNN sur le territoire vénézuélien. Ce processus serait déjà enclenché puisque quatre correspondants de la chaîne américaine se sont vus retirer l’autorisation d’exercer dans le pays. L’expulsion et la censure de chaînes internationales signifie la mort du pluralisme audiovisuel, la majorité des chaînes nationales et locales ayant été placée sous coupe réglée par le gouvernement. La presse écrite, dernière lueur d’indépendance, est forcée de limiter, voire de supprimer ses tirages à cause de la pénurie de papier. La loi de responsabilité sociale à la radio, à la télévision et dans médias électroniques (Resortemec) permet d’imposer contrôle du contenu et sanctions de médias non-alignés à travers la Commission nationale des télécommunications (Conatel). La fin de la censure et de la mainmise de l’Etat sur la diffusion de l’information est l’une des premières revendications des manifestants. Nous vous demandons de prendre toute la mesure de cette requête que vos concitoyens appellent de leurs vœux. L’information circule aujourd’hui au Venezuela sous une forme dangereusement polarisée. Ce n’est que dans le dialogue que la diffusion de l’information se fera sans heurts. Nous prenons acte de votre dénonciation de la manipulation dont certaines images de couverture des manifestations ont fait l’objet, mais attirons votre attention sur le caractère profondément antidémocratique de la censure que vous appliquez vous-même sur l’information qui circule dans votre pays. Nous vous invitons à considérer le pluralisme comme un facteur déterminant de l’accès à une information complète et globalement objective. La guerre que vous menez contre ce que vous nommez le “terrorisme médiatique”, visant à protéger la population d’un supposé appel à la violence est elle-même un facteur déterminant de cette polarisation. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération. Christophe Deloire
Secrétaire général de Reporters sans frontières Photos: Mariana Vincenti
Président de la République bolivarienne du Venezuela Monsieur le Président, Au nom de Reporters sans frontières, je tiens à vous exprimer une forte inquiétude devant la dégradation de la situation de la liberté de l’information au Venezuela. Notre organisation internationale, qui défend la liberté prévue par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme, et ne promeut aucun biais ni n’est alignée sur aucun intérêt diplomatique ou privé, est particulièrement préoccupée par les difficultés auxquelles les journalistes sont confrontés lors de la couverture des manifestations qui se succèdent dans votre pays depuis le début du mois de février 2014, ainsi que par votre choix de renforcer la censure en réponse au mouvement de contestation. A ce jour, l’organisation a recensé plus de 70 incidents visant les acteurs de l’information, à savoir au moins 57 agressions (physiques ou verbales) et 16 arrestations, la plupart accompagnées de vol ou de destructions de matériel, ainsi que l’attaque contre les locaux de la chaîne de télévision nationale VTV. Les journalistes sont visés par la Garde nationale bolivarienne et par la Police nationale bolivarienne, comme par certains manifestants et groupuscules paramilitaires qui profitent du mouvement de protestation pour semer la terreur. Dans le climat actuel, marqué par une forte tension, ce chiffre menace d’augmenter si des dispositifs de protection des acteurs de l’information ne sont pas mis en place rapidement. Reporters sans frontières rappelle qu’en vertu de la résolution 19/35 du 18 avril 2012 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les manifestations “contribuent à la jouissance des droits civils, politiques, économiques et sociaux”. Le rôle des journalistes pendant ce mouvement de contestation est donc essentiel dans une démocratie ouverte, afin d’informer la population et de témoigner de la réaction des forces de l’ordre. Les propos tenus par certains membres de votre gouvernement ne font qu’envenimer la situation. Delcy Rodríguez, ministre de la Communication et de l’Information, en réponse aux plaintes exprimées publiquement par le syndicat national des professionnels de la presse et par le Collège National des journalistes, a déclaré le 23 février dans une interview accordée à la chaîne Globovisión : “les manifestants font état d’agressions perpétrées à l’encontre des journalistes, mais ni moi, ni le Procureur général n’en avons entendu parler”. Je peux vous assurer que les cas documentés par Reporters sans frontières et d’autres ONG telles que Espacio Público, l’IPYS et Human Rights Watch ne relèvent en rien de l’imaginaire. Des représentants de Espacio Público ont d’ailleurs accompagné le photographe Gabriel Osorio déposer une plainte auprès du Bureau du Défenseur du peuple et du Procureur. Reporters sans frontières vous demande de former urgemment une commission d’enquête parlementaire sur les nombreuses exactions commises contre les professionnels de l’information depuis le début du mois de février 2014, afin que ces agressions ne demeurent pas impunies. Devant l’ampleur de la contestation, vous avez fait le choix de la censure. Le 11 février dernier, le directeur général de la Conatel a averti les journalistes par communiqué de l’interdiction de couvrir tout événement violent, sous peine de sanctions. Une censure stricte a touché dès le lendemain la chaîne de télévision colombienne NTN24 avant de s’étendre aux réseaux sociaux. L’accès aux photos hébergées sur Twitter a alors été bloqué de manière temporaire. Le 20 février, vous avez annoncé votre intention d'interdire la chaîne américaine CNN sur le territoire vénézuélien. Ce processus serait déjà enclenché puisque quatre correspondants de la chaîne américaine se sont vus retirer l’autorisation d’exercer dans le pays. L’expulsion et la censure de chaînes internationales signifie la mort du pluralisme audiovisuel, la majorité des chaînes nationales et locales ayant été placée sous coupe réglée par le gouvernement. La presse écrite, dernière lueur d’indépendance, est forcée de limiter, voire de supprimer ses tirages à cause de la pénurie de papier. La loi de responsabilité sociale à la radio, à la télévision et dans médias électroniques (Resortemec) permet d’imposer contrôle du contenu et sanctions de médias non-alignés à travers la Commission nationale des télécommunications (Conatel). La fin de la censure et de la mainmise de l’Etat sur la diffusion de l’information est l’une des premières revendications des manifestants. Nous vous demandons de prendre toute la mesure de cette requête que vos concitoyens appellent de leurs vœux. L’information circule aujourd’hui au Venezuela sous une forme dangereusement polarisée. Ce n’est que dans le dialogue que la diffusion de l’information se fera sans heurts. Nous prenons acte de votre dénonciation de la manipulation dont certaines images de couverture des manifestations ont fait l’objet, mais attirons votre attention sur le caractère profondément antidémocratique de la censure que vous appliquez vous-même sur l’information qui circule dans votre pays. Nous vous invitons à considérer le pluralisme comme un facteur déterminant de l’accès à une information complète et globalement objective. La guerre que vous menez contre ce que vous nommez le “terrorisme médiatique”, visant à protéger la population d’un supposé appel à la violence est elle-même un facteur déterminant de cette polarisation. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération. Christophe Deloire
Secrétaire général de Reporters sans frontières Photos: Mariana Vincenti
Publié le
Updated on
20.01.2016