Couvrir la crise politique au Nicaragua, une mission de plus en plus périlleuse

La liste des exactions commises contre les journalistes du Nicaragua, pays plongé dans une grave crise politique depuis près de trois mois, s’allonge un peu plus chaque jour. RSF dénonce de graves atteintes à la liberté d’informer et exhorte les autorités du pays à garantir la sécurité et les conditions de travail de la presse.

Agressions physiques, arrestations, détentions arbitraires, confiscation, vol ou destruction de matériel... Les journalistes qui tentent de couvrir la vague de contestation et la grave crise politique qui affecte le Nicaragua depuis trois mois sont la cible d'attaques directes et régulières de la part de l'armée et des forces anti-émeutes.  Accusé de népotisme par l’opposition, le président du Nicaragua Daniel Ortega a mis en place un véritable appareil de répression et de censure, créant un environnement de travail particulièrement difficile pour la presse.


Les journalistes n’échappent pas au contexte de violence généralisée qui, selon l’Association nicaraguayenne des droits de l’Homme (ANPDH), a déjà coûté la vie à au moins 350 personnes depuis trois mois. Le 22 avril 2018 dans la ville côtière de Bluefields, le directeur du journal El Meridiano et correspondant du Canal 6 Nicaragua, Angel Gahona a ainsi été brutalement abattu d’une balle dans la tête alors qu’il diffusait en direct sur Facebook Live un reportage sur les manifestations dans sa municipalité. Plusieurs témoins ont signalé la présence de forces armées dans les environs du lieu du crime, mais l’enquête piétinne.


Des journalistes sans protection


Faute de moyens financiers, les reporters des médias indépendants et d’opposition ne bénéficient d’aucun matériel de protection, ne pouvant pas, par exemple, s’équiper de gilets pare-balles pour couvrir les manifestations. Ces mesures de sécurité sont pourtant d'autant plus nécessaires que les journalistes se retrouvent directement pris à parti et menacés par les partisans du président Ortega mais surtout par la police et les forces anti-émeutes, dont ils sont la cible récurrente.


Ce fût le cas, par exemple, d’une équipe de journalistes du quotidien national critique La Prensa, qui, le 09 mai 2018, alors qu’elle couvrait un mouvement de protestation dans la capitale Managua, a été insultée puis intimée de quitter les lieux  par des policiers armés qui pointaient leurs armes dans sa direction.


Quelques jours plus tard, les locaux de la radio pro-gouvernement Tu Nueva Radio Ya et de la chaîne de télévision d'opposition 100% Noticias ont été saccagés, et les bâtiments de Radio Dario incendiés par des civils et des groupes paramilitaires.


La presse étrangère n’échappe pas à cette répression. Le 27 avril, le journaliste américain Tim Rodgers, du site d’information Fusion, a été  contraint de quitter le pays après avoir subit une campagne de harcèlement et de menaces en ligne menée par des groupes sandinistes, proche du pouvoir en place, qui l’accusaient de travailler pour la CIA.


Ces violences et ces atteintes à la liberté d'informer sont inacceptable, déclare Emmanuel Colombié, responsable du bureau Amérique latine pour RSF. Le gouvernement ne réglera pas la crise en muselant les journalistes. Il est au contraire de la responsabilité des autorités de garantir la sécurité de la profession et de permettre une couverture indépendante des événements qui secouent le pays depuis près de 3 mois”.


 La censure gagne du terrain


La presse nationale et locale non alignée sur le régime d’Ortega doit également faire face à un autre type de violence, plus insidieuse :  la censure et les tentatives de déstabilisation.


Depuis le début de la crise, plusieurs chaînes de radio et de télévisions d’opposition, comme 100% Noticias, Canal 12, Telenorte, Canal de Noticias de Nicaragua (CDNN23), Canal 12, Canal 23 ou Canal 51 se sont vues arbitrairement et ponctuellement privées de fréquences par la Telcor (Instituto Nicaragüense de Telecomunicación y Correos), l’organe de régulation des télécommunications national. D’autres se trouvent en grandes difficultés financières pour assurer leur pérennité, face à l'assèchement voire l’arrêt pur et simple de la distribution des ressources de la publicité officielle, dont les critères d’attribution restent volontairement très opaques. D’autres encore, comme le quotidien La Prensa ou l’hebdomadaire Confidencial, ont été à plusieurs reprises victimes d’attaques informatiques contre leurs sites d’informations en ligne.


Le 28 juin, lors d’une conférence de presse, un collectif de journalistes indépendants  dénonçait ce climat détestable ainsi que des campagnes de diffamation et de calomnie menées contre la presse par des représentants de l’Etat.


Cette censure d’Etat et cette guerre médiatique destinée à décrédibiliser les critiques et minimiser l’ampleur de la crise constitue une grande menace pour la liberté de la presse et la démocratie au Nicaragua” ajoute Emmanuel Colombié. RSF est plus que jamais solidaire des journalistes nicaraguayens qui tentent de faire leur travail d’information et appelle le président Daniel Ortega à respecter les conventions internationales en vigueur”.


La Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), après plusieurs missions d’observation, a dévoilé le 22 juin un rapport détaillé sur la dérive autoritaire du gouvernement nicaraguayen. Le document pointe notamment la ‘culture du secret du régime sandiniste’ et ses conséquences sur le travail de la presse : les médias indépendants n’ayant que peu ou pas accès aux informations officielles, l’absence de conférence de presse de la présidence, ou encore les sanctions et représailles contre les fonctionnaires qui acceptent de parler et de répondre aux sollicitations des journalistes indépendants.


Dans un communiqué diffusé ce 16 juillet, en marge d'un déplacement au Costa Rica, le Secrétaire général des Nations unies António Gutteres a appelé à la fin immédiate des violences et rappelé  que la protection des citoyens était une responsabilité "essentielle"des Etats.


Le Nicaragua est classé 90ème sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2018 de RSF.

Publié le
Mise à jour le 17.07.2018