Couverture du Covid-19 au Bangladesh : RSF dénonce une inquiétante vague d’arrestations contre plusieurs journalistes et un caricaturiste

Au moins douze journalistes ou blogueurs font l’objet de plaintes déposées, depuis le début du mois de mai, au motif de la loi sur la sécurité numérique, un texte particulièrement répressif. Reporters sans frontières (RSF) appelle le ministère public à ordonner la libération immédiate des personnalités emprisonnées pour leur couverture de la crise du coronavirus, ainsi que l’abandon des charges.

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Actualisation 

Après plus de 10 mois sous les verrous, le caricaturiste Ahmed Kabir Kishore, qui présente des traces de torture sur son corps, a été libéré sous caution, le 4 mars 2021, suite à une décision de la Haute Cour du Bangladesh rendue la veille. Six jours plus tôt, Mushtaq Ahmed est décédé en détention dans des circonstances très floues. RSF demande aux autorités de mettre en place une enquête indépendante sur les traitements dégradants qu'ils ont subis en prison et demande au ministère public d'abandonner les charges infondées qui pèsent toujours sur Ahmed Kabir Kishore et Didarul Bhuiyan. Le lanceur d'alerte avait, pour sa part, été libéré sous caution en septembre 2020. 

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Ils risquent chacun la prison à vie. Le caricaturiste Ahmed Kabir Kishore, l’écrivain et blogueur Mushtaq Ahmed, et le lanceur d’alerte Didarul Bhuiyan sont actuellement maintenus en détention provisoire pour avoir "diffusé sur Facebook des rumeurs et de la désinformation sur la situation du coronavirus", et pour avoir “insulté l’image du père de la nation, l’hymne national ou drapeau national”, au motif de l’article 21 de la très kafkaïenne loi sur la sécurité numérique de 2018.


En fait d’insulte, Ahmed Kishore s’était contenté de publier une série de caricatures de personnalités politiques intitulée “La vie au temps du corona”. Mushtaq Ahmed a pour sa part publié un article dénonçant la pénurie d’équipement de protection à destination des personnels soignants. Didarul Bhuiyan, enfin, entretient un groupe de travail sur le Covid-19 chargé de répertorier des cas de corruption et de réponses inadaptées des autorités aux conséquences de la crise, et d’en tenir informés ses concitoyens.


Tous les trois ont été arrêtés entre le 4 et le 6 mai par des membres du Bataillon d’action rapide (BAR), l’antiterrorisme bangladais. Ils font partie d’une liste de onze personnalités visées, par le même acte d’accusation qui leur reproche d’être liées à une page Facebook intitulée “I am Bangladeshi”. Y figurent notamment le célèbre blogueur Asif Mohiuddin, le journaliste Shahed Alam et le rédacteur en chef du site d’information Netra News, Tasneem Khalil - ces derniers étant basés à l’étranger, ils devraient échapper à la prison.


Instrumentalisation


“Journalistes, blogueurs et caricaturistes n’ont rien à faire derrière les barreaux pour avoir émis des opinions alternatives sur la façon dont les autorités gèrent la crise du coronavirus, estime Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons le ministre de la Justice Anisul Huq à ordonner sur-le-champ l’abandon des charges qui pèsent contre ces onze personnalités, et leur libération immédiate. Surtout, le gouvernement doit absolument amender la loi sur la sécurité numérique, qui est régulièrement instrumentalisée pour réprimer la liberté de la presse.”


C’est en vertu de ce texte draconien qu’une plainte a été déposée, le 6 mai, contre Jamal Mir, correspondant du site banglanews24.com à Barguna, dans le sud du Bangladesh, et contre Suman Shikder, correspondant de la chaîne News24 TV, du portail Bangla Tribune et du quotidien Dhaka Tribune. Accusés de diffamation, les deux journalistes ont été arrêtés le soir-même. Selon le Dhaka Tribune, quatre autres journalistes du portail  banglanews24.com sont accusés dans le même dossier.


Deux jours plus tôt, à 600 kilomètres au nord-est, à Sunamganj, le rédacteur en chef du Daily Haorancher Kotha Mahtab Uddin Talakdar, également correspondant local de SATV, a lui aussi été arrêté, le 4 mai, au motif de la loi sur la sécurité numérique. C’est un leader local de la Ligue Awami, le parti au pouvoir à Dhaka, qui a déposé plainte contre le reporter, lui reprochant la publication sur Facebook d’une information relative à l’arrestation, par la commission anti-corruption du pays, du député local Mouazzam Hossain Ratan. Mahtab Talakdar a été présenté le lendemain devant un tribunal de district qui a ordonné son renvoi immédiat en détention.


Dispositions liberticides


Le 1er mai, dans le district de Narsingdi, en banlieue de Dhaka, le rédacteur en chef du Dainik Grameen Darpan Ramjan Ali Paramanik, son reporter Shanto Banik et le rédacteur en chef du portail d'information Narshingdi Pratidin, Shawon Khandaker Shaheen ont vu les policiers débarquer à leur domicile respectif. Ils ont été arrêtés et placés sous les verrous en raison d’informations qu’ils avaient révélées deux jours plus tôt, relatives au décès d’un homme durant sa détention au poste de police de Ghorashal. Un inspecteur de ce poste a porté plainte contre les journalistes en invoquant, lui aussi, la loi sur sécurité numérique.


Le même jour, le 1er mai, un autre journaliste, qui signe sous le pseudonyme MA Hassan, correspondant du Dainik Manabzamina à Fulgazi, une ville du sud-est du pays, a également été arrêté.  Selon des informations obtenues par RSF, c’est le maire de la localité qui a porté plainte.


Au total, depuis le début de l’année, pas moins de 22 journalistes bangladais sont l’objet de plaintes déposées au motif de la loi sur la sécurité numérique, dont RSF avait dénoncé les dispositions liberticides dès janvier 2018.


Parmi eux, six ont été visés en avril pour leur couverture de la crise du coronavirus, comme RSF l’avait dénoncé le mois dernier


En chute d’une place par rapport à l’édition précédente, le Bangladesh se classe à la 151e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.

Publié le
Updated on 04.03.2021