Coup de filet contre la confrérie Gülen : un journaliste libéré, un directeur de médias incarcéré
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Au terme de son interrogatoire, le directeur de la publication du quotidien Zaman, Ekrem Dumanli a été remis en liberté conditionnelle avec interdiction de sortie du territoire, le 19 décembre 2014. D’après le journal, les questions posées par le procureur à Ekrem Dumanli concernaient essentiellement ses liens avec Fethullah Gülen, le rôle de ce dernier dans la ligne éditoriale du quotidien, et un certain nombre d’articles et de chroniques publiées ces dernières années.
Le directeur du groupe de médias Samanyolu, Hidayet Karaca, a quant à lui été incarcéré avec trois anciens policiers. Il avait refusé de répondre aux questions qui lui étaient posées, estimant que les juges n’étaient pas impartiaux. Reporters sans frontières appelle à sa remise en liberté immédiate et à un procès juste et équitable pour tous les protagonistes.
Les deux responsables de médias proches de la confrérie de Fethullah Gülen étaient maintenus en garde à vue par la police antiterroriste d’Istanbul depuis le 14 décembre 2014. Ils sont accusés d’”appartenance à une organisation illégale” qui se serait rendue coupable de “calomnie” et de “privation de liberté arbitraire”. Zaman fait état d’entraves dans le travail des avocats de la défense, qui ne peuvent accéder à l’intégralité du dossier.
Les journalistes Ahmet Sahin et Fahri Sarrafoglu ont été remis en liberté conditionnelle après avoir été entendus, les 15 et le 16 décembre. Le chroniqueur du quotidien Bugün, Nuh Gönültas, de retour en Turquie le 17 décembre, a déclaré sur son compte Twitter qu’il n’était pas en fuite, ni aux Etats-Unis, comme annoncé dans la presse, mais en Russie pour couvrir la crise financière : “Je suis enfin en Turquie. Demain matin, je me présenterai au procureur pour lui demander ce qu’il se passe et répondre à ses questions”. Il s’y est effectivement rendu le 19 décembre et a été remis en liberté.
Le mystérieux compte Twitter “Fuat Avni”, qui avait prévenu de l’imminence d’un coup de filet contre les milieux favorables à Fethullah Gülen, a récemment annoncé savoir qu’une autre opération policière aurait lieu le 25 décembre.
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15.12.2014 - Coup de filet contre les médias proches de la confrérie Gülen
Dans le cadre d’un vaste coup de filet contre les partisans de Fethullah Gülen, nouvel ennemi numéro un du président Recep Tayyip Erdogan, la police a fait irruption dans les bureaux de Zaman et de Samanyolu TV à Istanbul, le 14 décembre 2014. Parmi la trentaine de personnes interpellées à travers le pays, figurent au moins trois journalistes et cadres dirigeants de médias.
Cela faisait des mois que les médias proches de la confrérie Gülen s’attendaient à des descentes policières. Au terme d’une année marquée par des pressions croissantes, celles-ci ont fini par se matérialiser. Le 14 décembre 2014, la police antiterroriste a procédé, à travers treize provinces du pays, aux interpellations de 31 suspects identifiés par le juge Islam Ciçek. Parmi les personnes mises en garde à vue figurent Ekrem Dumanli, directeur de la publication du quotidien Zaman, premier tirage du pays, Hidayet Karaca, directeur du groupe de médias Samanyolu, ainsi que le journaliste et écrivain Fahri Sarrafoglu. Des scénaristes et producteurs de séries télévisées diffusées sur Samanyolu, ainsi que d’anciens hauts fonctionnaires de la police antiterroriste, ont également été interpellés. Le chroniqueur de Zaman Hüseyin Gülerce a été remis en liberté après avoir été entendu. Son collègue de Bugün, Nuh Gönültas, qui figure lui aussi sur la liste des suspects rendue publique par le procureur Hadi Salioglu, serait en fuite.
Les chefs d’accusation vont de la “diffamation” à la “falsification de documents”. Tous sont soupçonnés d’avoir “agi pour le compte d’une bande organisée visant à s’emparer du pouvoir de l’Etat de la République turque”. Le mandat du juge Ciçek se fonde sur la notion de “soupçons raisonnables”, introduite en droit turc par une récente réforme et largement critiquée pour son caractère vague, facilitant les abus.
“Nous condamnons cette nouvelle escalade dans la répression des voix critiques et nous demandons la remise en liberté immédiate des journalistes placés en garde à vue, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. Ces interpellations sont l'aboutissement d’une année de pressions croissantes contre les médias proches de la confrérie Gülen. Plus largement, un an après son éclatement, le scandale de corruption présumée qui touche des membres du gouvernement est devenu le premier tabou en Turquie : tous ceux qui le couvrent sont menacés. Force est de constater que les autorités continuent d’utiliser des méthodes employées ces dernières années contre la presse pro-kurde, d’extrême gauche ou nationaliste.”
Selon l’agence semi-officielle Anatolie, certains suspects sont soupçonnés d’avoir fabriqué de fausses pièces à conviction dans le cadre d’une enquête qui visait en 2009 le groupuscule islamiste présumé “Tahsiyeciler”. Zaman et Samayolu TV avaient couvert cette enquête, et les séries télévisées populaires “Sungurlar” et “Tek Türkiye”, qui ont pour cadre le travail des unités antiterroristes, auraient mis en scène une enquête similaire.
Interpellé devant les caméras dans les locaux de Zaman, Ekrem Dumanli a estimé que l’opération n’avait pour but que d’intimider la confrérie Gülen. “Seuls ceux qui violent la loi ont quelque chose à craindre, a-t-il affirmé. J’ai pris l’avion avec le Premier ministre des dizaines de fois. Comment puis-je être accusé de vouloir m’emparer de l’Etat ? (...) Cette opération est un coup porté à la démocratie, à la liberté de la presse.” Des centaines de sympathisants étaient rassemblés devant les bureaux de Zaman et Samanyolu TV, mobilisés par les révélations d’un influent compte Twitter, “Fuat Avni”, qui avait dévoilé les préparatifs d’une telle opération dès le 11 décembre.
L’association turque des journalistes (TGC), le syndicat des journalistes (TGS), le Conseil de la presse, la fédération des journalistes (TGF) ainsi que la plateforme “Liberté aux Journalistes” (GÖP) ont dénoncé une atteinte inacceptable à la démocratie et au droit du public à être informé.
Les 17 et 25 décembre 2013, des dizaines de personnalités de haut rang avaient été interpellées dans le cadre d’une vaste enquête anti-corruption. Parmi elles figuraient les fils de trois ministres, le directeur exécutif d’une banque d’État et un magnat du secteur de la construction. Le gouvernement avait très vivement réagi contre ce qu’il considérait comme un complot mis en œuvre par ses anciens alliés de la confrérie Gülen, un influent mouvement religieux qui compte de nombreux membres au sein de la police et des institutions judiciaires. Des centaines de policiers, inspecteurs, juges et procureurs ont été licenciés au cours des mois suivants, jusqu’à ce que l’enquête sur un des principaux volets de l’affaire soit classée sans suite, en octobre 2014.
Alors que cette affaire domine le débat public, les autorités ont multiplié les entraves à sa couverture médiatique tout au long de l’année. Licenciements de journalistes et blocages de sites internet critiques se sont multipliés tandis que le gouvernement a étendu les pouvoirs des services secrets et les a autorisés à mettre en œuvre une surveillance généralisée de la population. Depuis un mois, pas moins de quinze journalistes de tous bords politiques (proches de Gülen, républicains, de gauche ou nationalistes) ont comparu en justice pour leur couverture du scandale de corruption. Depuis fin novembre, les médias et internautes ont interdiction totale d’évoquer les travaux de l’enquête parlementaire censée faire la lumière sur cette affaire.
La Turquie occupe la 154e place sur 180 dans le Classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on
20.01.2016