Inflation des retraits de contenus
Sous le gouvernement conservateur de Lee Myung Bak, au pouvoir depuis 2009, le nombre de
demandes de retrait de contenus auprès de la Commission de régulation des moyens de communication (KCSC) s’est envolé. D’après le blog
NorthKoreaTech, avant 2009, elles tournaient autour de 1500 par an. Elles auraient atteint 80 449 en 2010.
La procédure manque de transparence, en raison de l’opacité qui caractérise le fonctionnement de la commission. Parallèlement, le nombre d’enquêtes est passé de 58 avant 2009 à 91 en 2010. En août 2011, on en comptabilisait déjà 150. Le Bureau du procureur donne quant à lui le chiffre de 122 sites pro-nord-coréens faisant l’objet d’une enquête entre août 2010 et septembre 2011. Soixante dix-huit auraient été fermés.
La censure du Nord
La censure des informations liées à la Corée du Nord se renforce et prend une signification toute particulière dans le contexte de transition actuelle à Pyongyang. Les réseaux sociaux sont le nouveau champ de bataille entre les deux Corées, toujours officiellement en guerre en l’absence d’un traité de paix.
La KCSC, chargée de réguler les contenus sur Internet, a ainsi été chargée, à la fin de l’année 2011, de fixer des normes aux utilisateurs de Facebook et de Twitter, ainsi qu’aux propriétaires de smartphones. Les utilisateurs devront effacer les contenus “nuisibles ou illégaux” associés à la pornographie, aux jeux d’argent et à la consommation de drogues, ou diffusant des fausses informations ou des propos calomnieux, mais aussi ceux qui font l’apologie de la Corée du Nord. Le président de cette commission a
déclaré à l’
Agence France-Presse : “les posts et les sites qui font l’apologie de la Corée du Nord ou glorifient ses leaders sont aussi la cible de notre travail car ils ont augmenté rapidement cette année”.
Outre l’actualité, très riche, cette mesure répond à l’offensive de charme menée en ligne par la Corée du Nord. Le pays a fait son entrée en 2010 sur les réseaux sociaux, pour mieux y mener sa guerre de propagande. En revanche, l’immense majorité de la population ignore jusqu’à l’existence du Web (
lire le chapitre Corée du Nord du rapport 2011 des “Ennemis d’Internet”). Le site Internet
uriminzokkiri.com s’apparente à une présence officielle du Nord sur le Web. Il a développé, fin 2011, des visuels hostiles envers la Corée du Sud et les Etats-Unis, encourageant ses partisans à les diffuser sur les réseaux sociaux (lire le chapitre Corée du Nord du rapport 2012 sur les Ennemis d’Internet).
La réplique du Sud ne se cantonne pas à des actions en ligne, elle passe par l’arrestation et l’intimidation d’internautes jugés favorables au Nord. La loi sur la sécurité nationale, qui date de 1948, lui en donne les moyens légaux.
Dernier cas en date, qui illustre le caractère dépassé et arbitraire de cette loi et de son application :
Park Jeong-geun,
arrêté en janvier 2011, pour avoir re-tweeté des messages tels que "Longue vie à Kim Jong-il", risque jusqu'à sept ans de prison. Le jeune homme se défend en évoquant l’aspect satirique de ses messages, destinés à ridiculiser les dirigeants nord-coréens.
Un autre Sud-Coréen, Kim Myung Soo, arrêté en 2007 puis libéré sous caution, est toujours
poursuivi, accusé d’avoir “aidé l’ennemi”, pour avoir vendu des livres favorables au Nord en ligne. L’armée a par ailleurs lancé des enquêtes sur environ soixante-dix officiers qui auraient été abonnés à un site communautaire pro nord-coréen. D’après le ministère de la Défense, sept ou huit d’entre eux se seraient livrés à une conduite “problématique” en postant des messages sur ce site et vont faire l’objet d’enquêtes approfondies. Le reste se serait inscrit par simple curiosité.
Politique et Internet : des relations “compliquées”
L’un des membres du KCSC, qui testait les limites de la censure,
a lui-même été censuré. Il utilisait son blog pour éduquer les internautes sur le type de contenu potentiellement visé.
Les commentaires politiques sont très sensibles et sujets à surveillance en Corée du Sud. La commission nationale électorale a levé, le 13 janvier 2012,
l’interdiction d’utilisation de Twitter et des réseaux sociaux pour faire de la politique. Cette interdiction avait été jugée “inconstitutionnelle”. Deux scrutins sont prévus en 2012. Plus d’une centaine de personnes seraient poursuivies pour violation de la loi électorale.
L’un des commentateurs politiques les plus influents du pays,
Kim Eo-jun, éditeur du journal en ligne
Ddanzi Ilbo, et plusieurs autres personnes, sont
sous le coup de poursuites judiciaires. Ils sont accusés d’avoir diffusé de fausses informations au sujet de Na Kyung-won, le candidat malheureux du Grand Parti National (GPN) au pouvoir aux élections municipales de Seoul. Dans son
podcast “I’m a Ggomsu” (“Je suis un tricheur”), l’un des plus populaires au monde, suivi par des millions de personnes, il critique et se moque, avec d’autres commentateurs, des personnalités du GNP, dont le président Lee Myung-bak.
De son côté, le célèbre blogueur
Minerva, de son vrai nom
Park Dae-sung, a engagé des poursuites contre l’Etat, auquel il réclame des dommages et intérêts pour son incarcération en 2009 en raison de ses critiques de la politique économique du gouvernement (
lire le chapitre Corée du Sud du rapport 2011 sur les Ennemis d’Internet).
Le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’expression,
Frank La Rue, a qualifié, en mai 2011, les régulations en ligne en Corée du Sud de “sujet de grande inquiétude”.
La loi sur la sécurité nationale, en particulier, date de 1948 et n’est plus en adéquation avec l’évolution de la société sud-coréenne et son ancrage démocratique. Elle doit être révisée ou abolie au plus vite, pour que le pays le plus connecté au monde cesse de se livrer à une censure rétrograde et inefficace, et laisse ses citoyens juger par eux-mêmes de l’inanité de la propagande du Nord ou critiquer librement en ligne leurs dirigeants politiques.