Convocations, intimidations et harcèlements sont devenus le quotidien des médias privés
Organisation :
Devant l'intensification des tentatives d'intimidation auxquelles font face plusieurs médias privés burundais, Reporters sans frontières appelle le gouvernement du président Pierre Nkurunziza à cesser immédiatement cet acharnement. Convocations et mises en garde sont devenus le quotidien de la presse privée du pays.
Les médias les plus visés sont la Radio Publique Africaine (RPA), et les stations Isanganiro et Bonesha FM. Les victimes sont leurs directeurs, leurs rédacteurs en chef, leurs journalistes. Leurs noms? Eric Manirakiza, Bob Rugurika, Vincent Nkeshimana, Patrick Mitabaro, Patrick Nduwimana, et quelques autres…
Au moins deux ministres se sont directement illustrés par leurs mises en garde vis-à-vis de ces médias. Le 14 novembre 2011, dans une lettre adressée à la RPA, le ministre burundais de l'Intérieur, Edouard Nduwimana, a ouvertement accusé la radio "d'incitation à la désobéissance et à la haine".
Le 16 novembre, la ministre en charge de la Communication, Concilie Nibigira, a quant à elle accusé TV Renaissance et les stations RPA, Bonesha FM et Isanganiro de "porter atteinte à l'ordre et la tranquillité publics" pour avoir appelé les propriétaires de voitures à klaxonner pensant 15 secondes, ce jour-là, à partir de 12 heures 20. Faisant référence aux enquêtes sur le massacre de Gatumba, elle ajoute que "toute personne qui publie dans les médias ou par d'autres voies des éléments sur un dossier encore en phase pré-juridictionnelle s'expose au prescrit de l'article 11 de la loi du 27 novembre 2003 régissant la presse au Burundi". La ministre conclut sa lettre en appelant la presse à "éviter l'escalade, faute de quoi vous serez tenus d'en assumer les conséquences conformément aux dispositions pertinentes du code pénal".
"Au Burundi, les journalistes et responsables de médias privés qui s'efforcent de s'exprimer librement et d'enquêter sur des sujets sensibles sont soumis à une terrible campagne d'intimidation, symbolisée par des convocations à répétition. Lutter contre le découragement est devenu leur défi", déplore Reporters sans frontières.
"Déjà très inquiétant depuis 2010, le rythme des atteintes à la liberté de la presse s'est considérablement accéléré depuis le massacre de Gatumba, fin septembre, pour atteindre ces derniers jours une fréquence quasi quotidienne. Dans cette 'guerre des nerfs' que leur livrent les autorités burundaises, ces journalistes peuvent compter sur notre soutien. Comme l'a fait le chef de la délégation de l'Union européenne à Bujumbura, nous appelons les autorités à laisser les médias et la société civile jouer leur rôle. Nous les appelons également à assurer une totale transparence en ce qui concerne l'enquête sur le massacre de Gatumba", a ajouté l'organisation.
Le 14 novembre 2011, Bob Rugurika, rédacteur en chef de la Radio Publique Africaine (RPA) et Bonfils Niyongere, journaliste pour la même station, ont passé la journée au parquet de Bujumbura et n'ont été relâchés qu'après environ douze heures d'interrogatoire. Cet incident serait directement lié à la diffusion, par la RPA, d'informations relatives au massacre de Gatumba, qui a fait 39 morts et 40 blessés, le 18 septembre dernier, dans la commune de Mutumbuzi. Les autorités ont imposé un black-out médiatique sur ces événements. Les deux journalistes ont reçu une nouvelle convocation pour le 18 novembre.
Le 10 novembre, trois directeurs de radios privées avaient déjà été convoqués. Patrick Nduwimana, de la station Bonesha FM, Eric Manirakiza, de la RPA, et Vincent Nkeshimana directeur de la radio Isanganiro, ont été sommés de fournir au procureur des documents relatifs à leurs statuts, leurs règlements intérieurs et les preuves de financement de leur radios. Tous ont refusé d'accéder à la demande du parquet qui n'a donné aucune justification pour cette convocation et cette requête.
La veille, le rédacteur en chef de la radio Isanganiro, Patrick Mitabaro, avait lui aussi été convoqué. Le 8 novembre, c'est Bob Rugurika, de la RPA, et Patrick Nduwimana, rédacteur en chef de la radio Bonesha FM, qui avaient dû se présenter devant le parquet de Bujumbura. Le procureur a reproché aux radios d'avoir diffusé certaines informations sur le massacre de Gatumba, dont un témoignage du principal accusé, Innocent Ngendakuriyo, alias Nzarabu, recueilli par téléphone depuis la prison de Bubanza. Ces éléments auraient filtré en dépit du communiqué gouvernemental du 21 septembre interdisant aux médias toute forme de commentaire sur l'enquête et alors même que le rapport d'enquête n'a pas été rendu public.
Le 6 novembre, Bonfils Niyongere (RPA) avait été arrêté sur le campus Mutanga de l'université du Burundi par le commissaire en charge de la sécurité, lequel a tenté de l'interroger de force. Le journaliste a finalement réussi à fuir grâce à l'intervention de son rédacteur en chef, Bob Rugurika, venu lui porter assistance.
Enfin, dans un incident d'une toute autre nature mais révélateur du climat nauséabond vis-à-vis des journalistes, Audace Nimbona, correspondant de la radio Bonesha FM et de l'agence Syfia Grands Lacs à Ngozi (nord du pays), a été victime, le 5 novembre, de jets de pierres lancées par des inconnus. Il est parvenu à s'échapper, mais a trouvé une croix devant la porte de son domicile le lendemain matin.
Photo : le président Pierre Nkurunziza (EANA / The Citizen)
Publié le
Updated on
20.01.2016