Condamnations et interdictions en série : le calvaire des journalistes yéménites continue dans une indifférence inacceptable

Reporters sans frontières dénonce avec la plus grande fermeté la décision, prise le 31 octobre 2009, par le tribunal spécialisé dans les délits de la presse de condamner le journaliste de l’hebdomadaire indépendant Al-Masdar, Munir Al-Mawari, à deux ans de prison ferme pour “diffamation“ à l’égard du président de la République, Ali Abdallah Saleh. Il se voit également interdire d’exercer à vie son métier de journaliste. Le directeur du journal, Samir Jubran, a, quant à lui, été condamné dans la même affaire à un an de prison avec sursis, et à un an d’interdiction d’exercer sa profession. « L’objectif de ces condamnations est de museler, une fois pour toute, la presse indépendante du Yémen. Il est inacceptable qu’un gouvernement ou même un juge intervienne pour interdire à des journalistes d’écrire, que ce soit pour une durée limitée ou à vie. Il est urgent que la communauté internationale vienne au secours de la société civile yéménite avant qu’il ne soit trop tard », a déclaré l’organisation. Cette condamnation des deux journalistes du journal Al-Masdar fait suite à la publication, en mai dernier, d’un article intitulé « Arme de destruction massive », dans lequel Munir Al-Mawari critiquait la conduite de la guerre contre les rebelles chiites dans le nord du pays. Dans un communiqué de presse, le secrétaire général du Syndicat des journalistes, Marwan Damaj, a dénoncé ce verdict, estimant qu’il s’agissait de la pire condamnation jamais prononcée à l’encontre de journalistes yéménites depuis 1990. « L’objectif de cette condamnation est (…) de faire taire les journalistes yéménites qui tentent, avec force et courage, de traiter des sujets sensibles », a-t-il ajouté. Samir Jubran estime, quant à lui, que cette condamnation équivaut à l’interdiction du journal Al-Masdar. Contacté par Reporters sans frontières, Munir Al-Mawari, qui vit aux Etats-Unis depuis 1994, considère que « cette condamnation est ridicule. Il est en effet ridicule de condamner quelqu’un pour ses écrits. Il n’existe aucune loi, dans aucun pays, qui permette d’interdire à quelqu’un d’écrire. Je n’ai rien fait d’illégal. Mais il est clair que cette décision vient du Président lui-même, alors que dans l’article je n’ai fait que critiquer sa politique, je n’ai pas critiqué sa personne ». Depuis ses articles en 2006 critiquant la réélection d’Ali Abdallah Saleh, la presse gouvernementale n’accepte plus aucun article du journaliste. « Lorsqu’un journal indépendant accepte un de mes articles, il prend le risque d’être interdit d’impression », ajoute Munir Al-Mawari, avant de déclarer ne plus avoir écrit un seul article au cours des trois derniers mois pour la presse yéménite indépendante, afin de ne pas donner d’arguments supplémentaires aux autorités pour interdire les journaux. Par ailleurs, Reporters sans frontières est sans nouvelles, depuis le 18 septembre dernier, du journaliste Muhammad Al-Maqalih, disparu dans des circonstances non élucidées. Lors du rassemblement hebdomadaire organisé par ses confrères à Sanaa le 20 octobre 2009, ces derniers ont réitéré leurs demandes de libération du journaliste. A l’occasion de la cérémonie organisée à Alger, le 28 octobre 2009, pour le prix Omar Ourtilane pour la liberté de la presse, décerné par le quotidien algérien Al-Khabar, le journaliste yéménite Abdelkarim El-Khaiwani, lauréat du prix 2009, avait tiré la sonnette d’alarme au sujet de la situation de la liberté de la presse au Yémen, alertant l’opinion publique internationale . Il avait également accusé publiquement les autorités d’être responsables de l’enlèvement de Muhammad Al-Maqalih, déclarant : “Les services de sécurité ont kidnappé mon collègue, nous devons être solidaires. (…) La seule manière de triompher est de faire pression sur les puissants.“ El-Khaiwani critique ainsi les récentes déclarations du Délégué général du service des Renseignements, qui a nié toute implication de l’Etat dans la disparation de Muhammad Al-Maqalih. Enfin, l’organisation est soulagée d’apprendre la libération, le 30 octobre 2009, du journaliste freelance Saddam Al-Ashmouri, arrêté le 22 octobre au soir à Marib (120 km à l’est de Sanaa), alors qu’il venait d’interviewer le leader d’Al-Qaïda dans la région, Ghalib Zaidi. Au cours des dernières semaines, la censure s’est acharnée sur plusieurs journaux qui tentent d’aborder les opérations militaires dans le nord et le sud du pays. Ainsi, avant même la condamnation de son rédacteur en chef, la rédaction d’Al-Masdar avait été contrainte, sur ordre des autorités, de supprimer certains articles de son édition du 13 octobre. Le numéro 61 du journal Al-Watani, daté du 18 octobre, a en outre été confisqué, en raison d’un article consacré aux opérations des groupes rebelles dans le sud du pays. Le journal Hadith Al-Madina a vu son numéro 18 retiré des kiosques sur décision unilatérale du ministère de l’Information qui prétexte que le représentant de la société de distribution ne lui aurait pas présenté un exemplaire du journal pour approbation préalable. Le titre contenait un article dans lequel le rédacteur en chef, Fakri Qassem, analysait l’impact des conflits actuels sur la situation socio-économique du Yémen.
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Updated on 20.01.2016