Climat de plus en plus suffocant pour la liberté de la presse
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Reporters sans frontières réitère sa profonde inquiétude face au déclin de la liberté de la presse au Kazakhstan. Alors que se multiplient arrestations et procès de journalistes et blogueurs critiques, les autorités kazakhes se dotent d’outils législatifs permettant un contrôle toujours plus étroit de la sphère médiatique.
Nouvelle fermeture d’un journal d’opposition
Les locaux du journal d’opposition Assandi Times ont été partiellement mis sous scellés le 2 avril 2014. L’interdiction du titre avait été prononcée la veille par un tribunal d’Almaty (capitale économique du Kazakhstan), en l’absence de membres de la rédaction. « La justice kazakhe poursuit son entreprise d’éradication des derniers médias d’opposition, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. L’interdiction d’Assandi Times est une décision illégale prise par une justice aux ordres du pouvoir executif. Le manque d’indépendance des magistrats est d’autant plus patent qu’ils ne prennent plus la peine depuis longtemps de respecter les procédures imposées par la loi : procès in abstentia, droits de la défense foulés aux pieds, assimilation arbitraire de plusieurs titres de presse distincts… Le seul moyen pour la justice de démontrer qu’il lui reste un tant soit peu d’indépendance et d’impartialité est de casser cette décision en appel. » La rédaction d’Assandi Times a assisté avec surprise à l’arrivée d’huissiers dans ses locaux dans la matinée du 2 avril 2014. Le rédacteur en chef du journal, Sergueï Douvanov, et son adjointe, Oksana Makouchina, ont confirmé à Reporters sans frontières qu’ils n’avaient pas été informés des poursuites judiciaires lancées contre Assandi Times et qu’ils n’avaient pas été invités à assister au procès. Les huissiers ont d’abord cherché à sceller les locaux et à en chasser les journalistes, mais ne disposant d’aucun document officiel, ils se sont heurtés à la résistance de la rédaction. Une seule pièce a finalement été mise sous scellés et les journalistes continuent de travailler dans les pièces voisines. La rédaction a en effet fait valoir qu’elle disposait légalement de dix jours pour faire appel de la décision de justice du 1er avril. Cette dernière assimile officiellement Assandi Times au journal d’opposition Respublika et à ses différentes déclinaisons, frappées d’interdiction en décembre 2012 pour « extrémisme ». Pourtant, si certains collaborateurs d’Assandi Times ont bien appartenu à la rédaction de Respublika, les deux entités sont juridiquement distinctes. Le premier titre a été créé après la fermeture du second, et il ne figurait donc pas sur la liste des huit médias et 23 sites Internet d’opposition interdits fin 2012. Ces derniers avaient été condamnés pour « extrémisme » sur la base d’éléments avancés en l’absence des journalistes concernés, lors du procès de l’opposant Vladimir Kozlov en novembre 2012. Depuis, les parodies de procès se succèdent pour interdire les derniers médias critiques. Fin février 2014, un tribunal d’Almaty a ordonné la fermeture définitive du journal d’opposition Pravdivaïa Gazeta. Cette décision doit être examinée en appel le 11 avril prochain. Reporters sans frontières a appris le 24 mars que la journaliste Natalia Sadykova, mise en examen pour « diffamation ». Elle fait l’objet d’un mandat d’arrêt.Censure préalable en cas d’émeute
Juste avant d’annoncer sa démission, le 2 avril, le gouvernement kazakh a rendu public un décret daté du 28 janvier, renforçant les mesures applicables dans les « situations d’urgence à caractère social ». L’acception de ce terme, commun dans les pays d’ex-URSS, est bien plus large que la notion d’état d’urgence. Elle recouvre l’ensemble des désordres de masse dont les causes sont humaines : émeutes, conflits locaux et régionaux, grèves ou manifestations massives… Dans de tels cas, l’ensemble des médias de la zone concernée seront désormais soumis à la censure préalable. Le décret leur impose de soumettre aux autorités compétentes chaque exemplaire ou chaque émission, « pour approbation du contenu », 24 heures avant la publication ou la diffusion. Lorsque ce délai est impossible à tenir, dans le cas de bulletins d’information notamment, les contenus doivent être présentés juste avant diffusion. En cas de non-respect de cette procédure, le média concerné risque la fermeture. Ces mesures s’accompagnent, entre autres, de la suspension des activités des partis politiques ou ONG qui « empêchent » la régulation de la situation. « On ne peut que s’interroger sur la finalité de ces mesures draconiennes et sur leur annonce extrêmement tardive. On voit mal quel manque ce décret vient combler dans la législation kazakhe. Etant donné l’élasticité de la notion de ‘situation d’urgence’, l’instauration de la censure préalable ne fait qu’offrir aux autorités kazakhes, en pleine dérive liberticide, une nouvelle possibilité de contrôler l’information. Ce qui reste de liberté de la presse dans le pays en ressort encore amoindri », déplore Johann Bihr. Le décret gouvernemental fait écho à des propositions du ministère de la Culture et de l’Information, que Reporters sans frontières avait jugées très dangereuses, en septembre 2012. Son champ d’application rappelle fortement les émeutes de Janaozen, en décembre 2011, qui avaient fait l’objet d’une censure inédite et avaient précipité le tournant ultra-autoritaire des autorités kazakhes. (Photos : STR/AFP, AFP/Viktor Drachev)Publié le
Updated on
20.01.2016