Cinq ans d'impunité depuis l'assassinat de Brignol Lindor : Reporters sans frontières demande la nomination d'un nouveau juge d'instruction
Cinq ans après l'assassinat de Brignol Lindor, de Radio Echo 2000, le 3 décembre 2001 à Petit-Goâve, justice n'a toujours pas été rendue. Dans une lettre ouverte au président de la République, René Préval, et au commissaire du gouvernement, Claudy Gassant, Reporters sans frontières demande la nomination d'un nouveau magistrat instructeur.
M. René Préval, Président de la République d'Haïti
M. Claudy Gassant, Commissaire du gouvernement, tribunal de Port-au-Prince
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Commissaire du gouvernement,
Cinq ans ont passé depuis l'assassinat, à coups de pierres et de machettes, de Brignol Lindor, journaliste à Radio Echo 2000, le 3 décembre 2001 à Petit-Goâve. Cinq ans d'impasse judiciaire et cinq ans d'impunité, qui conduisent Reporters sans frontières à solliciter votre intervention dans ce dossier, afin que soit nommé au plus vite un nouveau juge d'instruction. Notre organisation constate avec tristesse et colère que la Cour de cassation a rejeté la requête de constitution de partie civile, que lui avait adressée la famille Lindor. Cette décision nous surprend à plus d'un titre. D'une part, la haute juridiction avait été saisie, le 21 avril 2003, par la famille Lindor après un avis défavorable de la cour d'appel. Nous comprenons mal comment et pourquoi le dossier Brignol Lindor a pu rester en souffrance au sein de la Cour de cassation pendant deux ans, alors qu'elle disposait, à compter du dépôt de la requête, de deux mois et demi pour rendre son arrêt. Nous regrettons surtout une décision qui, de fait, entérine la fin de l'enquête et donc l'impunité pour ce crime. Tout semble avoir été fait pour occulter le caractère prémédité et planifié de l'assassinat de Brignol Lindor, pourtant établi dans un rapport de la Commission citoyenne pour l'application de la justice (CCAJ), transmis au ministre de la Justice en juillet 2004. Le 29 novembre 2001, une conférence de presse s'est tenue à Petit-Goâve, à l'initiative de plusieurs personnalités liées au parti Fanmi Lavalas de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, dont le maire de Petit-Goâve, Emmanuel Antoine, et son adjoint Bony Dumay. Ce dernier s'était alors lancé dans un violent réquisitoire contre les opposants de la Convergence démocratique et contre Brignol Lindor, considéré comme un allié de ce groupe politique. Une autre réunion a eu lieu le 2 décembre, veille de l'assassinat, entre des représentants de l'équipe municipale et des membres du groupe armé « Domi nan bwa », lié au parti Fanmi Lavalas. Le 3 décembre au matin, Joseph Céus Duverger, l'un des chefs de « Domi nan bwa », a été attaqué par des partisans présumés de la Convergence démocratique. Cet épisode a servi de prétexte à une action de représailles ciblées contre Brignol Lindor. Pour preuve, une dizaine de membres de « Domi nan bwa » qui s'apprêtaient à exécuter à son domicile Love Augustin, un membre de la Convergence démocratique, l'ont finalement relâché pour s'en prendre à Brignol Lindor, arrivé sur les lieux. Malgré ces éléments, l'ordonnance du juge Fritner Duclair, rendue le 16 septembre 2002, a exclu de toute poursuite les commanditaires présumés de l'assassinat de Brignol Lindor. Les représentants de la municipalité de Petit-Goâve n'ont jamais été inquiétés. Dix membres du groupe « Domi nan bwa » ayant participé au meurtre ont été inculpés, mais selon l'avocat de la famille Lindor, aucun d'entre eux n'a été incarcéré. Un seul des tueurs présumés, Joubert Saint-Just, a été appréhendé et livré à la police par des habitants de Miragoâne, mais pour un autre motif... le 30 mars 2005. Nous n'ignorons pas l'énorme défi posé par la reconstruction, en Haïti, d'un système judiciaire probe et efficace. Ce processus ne saurait avoir lieu si l'assassinat de Brignol Lindor demeure impuni. Il implique également, comme nous l'avions souligné dans notre courrier du 31 mars 2006, que toute la lumière soit faite sur l'assassinat de Jean Dominique, directeur de Radio Haïti Inter, tué à Port-au-Prince le 3 avril 2000. La résolution de ces deux dossiers doit participer de la restauration de l'Etat de droit en Haïti. Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Commissaire du gouvernement, l'expression de ma très haute considération. Robert Ménard
Secrétaire général