Chypre du Nord : trois journalistes risquent six ans de prison pour des articles sur la vente de passeports

Les reporters sont poursuivis pour "violation du secret de la vie privée" après avoir dénoncé dans des articles l’octroi de la nationalité nord-chypriote contre d’importantes sommes d’argent. Dénonçant des mesures disproportionnées, Reporters sans frontières (RSF) demande au tribunal de Nicosie de prendre en compte l’intérêt général de leurs publications.

Depuis le 4 juin, trois journalistes du journal chypriote turc Yeni Bakış, Deniz Abidin, Kazim Denizci et Esengul Aykac, sont jugés par le tribunal pénal de Nicosie en Chypre du Nord. Ils risquent six ans de prison pour “violation du secret de la vie privée”, après avoir passé plusieurs heures en garde à vue et avoir été exposés au risque de violation du secret des sources lors de la confiscation de leurs téléphones. En cause : la publication d’un enregistrement téléphonique, les 27 et 28 mai derniers, dévoilant l’octroi de la citoyenneté chypriote en échange d'un pot-de-vin, une pratique illégale.


Les reporters ont mis en lumière qu’une fonctionnaire du ministère de l’Intérieur - désormais accusée de corruption par le procureur général - avait demandé à un homme de trouver des candidats potentiels à l’achat de la citoyenneté chypriote turque pour un équivalent de 1 250 euros. Une pratique mise en place à des fins politiques. En effet, sur l’enregistrement publié par les trois journalistes, la fonctionnaire affirme que 50 000 personnes auraient reçu l'instruction de devenir citoyens chypriotes turcs afin que le parti d’extrême-droite UBP puisse gagner les prochaines élections présidentielle et législative. Une instruction qui proviendrait de la Turquie, seul pays à reconnaître la République turque de Chypre du Nord. 


En révélant l’octroi illégal des passeports nord chypriotes dans un but électoral, les trois journalistes de Yeni Bakış n’ont fait qu’exercer leur métier, déclare le responsable du bureau UE/Balkans à RSF, Pavol Szalai. RSF dénonce leur garde à vue et la menace au secret de leurs sources comme des mesures disproportionnées et demande au tribunal de Nicosie de prendre en compte, lors du procès, l’intérêt général de leurs publications”. 


Les journalistes enquêtant sur le trafic illégal de nationalité font également l’objet de pressions à Chypre, un État membre de l’Union européenne. En janvier dernier, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Kathimerini, Andreas Paraschos, a été poussé à la démission après la publication d'un article sur l'implication du président Nicos Anastasiades dans l’affaire des passeports dorés, alors que les éditeurs du journal ont été sommés de s’excuser auprès des autorités.


Chypre et Chypre du Nord occupent respectivement la 26ème et la 76ème place dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.

 

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Updated on 18.06.2021