Censure, pressions, menaces : un mois difficile pour la presse chez Yahya Jammeh
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La Gambie a fait parler d'elle au mois d'août 2012, lorsque le chef de l'Etat, Yahya Jammeh, a annoncé que 47 prisonniers condamnés à la peine capitale seraient exécutés au cours du mois de septembre. Face au tollé provoqué par cette annonce et suite à de vives protestation internationales, suite également à l'exécution de neuf condamnés, l'ancien lieutenant qui s'était emparé du pouvoir par un putsch en 1994 a fait volte-face et a décidé, le 14 septembre, d'adopter "un moratoire sur les exécutions".
Mais les autorités de Banjul sont tombées à bras raccourcis sur les journalistes s'étant exprimés trop librement sur la question et ayant osé dénoncer ces promesses d'exécutions. La presse, locale et étrangère, qui s'est fait le relais des critiques contre le pouvoir, a été prise pour cible. Reporters sans frontières soutient l'Union de la presse gambienne (Gambia Press Union, GPU) qui a dénoncé, le 26 septembre, une "détérioration de la liberté des médias".
"Aussi surprenant que cela puisse paraître dans un pays où la liberté de la presse est déjà fort limitée, la situation s'est effectivement détériorée au cours du dernier mois. Les journalistes qui osent la critique et ont le courage de couvrir l'actualité sensible telle que les questions de droits de l'homme subissent les assauts répétés des autorités de Banjul. Quand le président Jammeh comprendra-t-il que les médias, par le débat et l'échange d'idées, participent au développement social et politique d'un pays ?", s'est interrogée Reporters sans frontières.
Fermeture de médias manu militari
Le 15 septembre 2012, des membres de l'Agence nationale de renseignement (NIA) ont investi les locaux de deux journaux indépendants, The Standard et le Daily news, avant d'en ordonner la fermeture. Agissant sur ordre direct du chef de l'Etat, les agents ont indiqué ne pas disposer du motif de la sanction, ni connaître sa durée. Selon certaines sources, cette décision arbitraire résulterait de la publication, dans ces deux titres, de contenus critiques (lettres, pétition..) à l'égard du choix de Yahya Jammeh de confirmer les condamnations à mort, pratique révolue dans le pays depuis 1981.
Des agents de la NIA avaient déjà ordonné, un mois plus tôt, la fermeture de la radio commerciale Teranga FM, pour avoir refusé d'arrêter la revue quotidienne de la presse gambienne. Ce programme très suivi, qui reprend l'ensemble des gros titres de la presse indépendante, permet à une population en majorité illettrée de pouvoir suivre l'actualité de leur pays en langues locales (Mandinka, Fula, Wolof). En janvier 2011, cette radio, située à Sinchu Alhagie (Ouest), avait déjà fait l'objet d'une fermeture pour les mêmes raisons.
Certains observateurs voient, dans ce procédé, une sanction contre le ton décomplexé d'un talk-show hebdomadaire, où des représentants de l'opposition ont fustigé le bilan négatif du chef de l'Etat en matière des droits de l'homme.
Poursuivis pour un appel "à manifester pacifiquement"
Arrêtés le 7 septembre 2012, deux journalistes ont été inculpés pour "conspiration" et "incitation à la violence", avant d'être libérés sous caution. Leur tort : avoir déposé une demande d'autorisation auprès du ministère de l'Intérieur pour manifester pacifiquement contre de nouvelles exécutions de prisonniers.
Baboucarr Ceesay, collaborateur du journal Daily news, est vice-président de la GPU, tandis qu'Abubaccar Saidykhan est journaliste indépendant.
Baboucarr Ceesay est également poursuivi, depuis le 19 septembre, pour "publication séditieuse" en raison d'un article paru dans la revue Africa Review, que le journaliste nie avoir écrit.
Journalistes étrangers, "personae non gratae"
Après avoir déclaré qu'il appartenait "aux Gambiens de résoudre leurs problèmes" sur l'antenne de Radio Liberté, Pape Alé Niang, journaliste pour la chaîne privée sénégalaise 2STV, s'est attiré les foudres du président Jammeh. Ce dernier a menacé le journaliste sénégalais de mort s'il envisageait de réaliser des reportages en territoire gambien.
Deux semaines plus tôt, Thomas Fessy, journaliste français pour la radio britannique British Broadcasting Corporation (BBC), a été retenu pendant près de cinq heures à l'aéroport de Banjul. Le journaliste était muni d'un visa et avait pris soin d'avertir le ministère de l'Information de sa venue, mais il a été refoulé. Seul motif apparent : être journaliste. Malgré ses tentatives auprès de la Présidence, et du ministère des Affaires étrangères, Thomas Fessy n'a pu inverser la décision.
Le journaliste se rendait en Gambie à la suite des révélations, par les autorités gambiennes, de l'exécution de neuf condamnés à mort.
Poudre aux yeux ou promesses sincères ?
Au lendemain de la visite du célèbre militant des droits civiques des afro-américains Jesse Jackson, en déplacement en Gambie pour demander la grâce des prisonniers condamnés à mort, le président gambien a autorisé l'ONU à enquêter sur l'assassinat, en 2004, du directeur du journal privé The Point, Deyda Hydara, et sur la disparition, en 2006, du journaliste du Daily Observer, Chief Ebrima Manneh.
"Ces deux affaires sont symptomatiques de l'impunité qui règne en Gambie concernant les violations de la liberté de la presse. Huit et six ans après ces faits consternants, aucun progrès dans les enquêtes n'a pu être observé. Si l'ONU est effectivement autorisée à mener des investigations, elle doit faire appel à des enquêteurs internationaux indépendants qui doivent bénéficier de la coopération totale des services de sécurité gambiens", a déclaré Reporters sans frontières.
Cofondateur de The Point, et correspondant de l'Agence France-Presse (AFP) et de Reporters sans frontières, Deyda Hydara a été abattu au volant de sa voiture dans la soirée du 16 décembre 2004. Selon un rapport de mission de Reporters sans frontières paru en mai 2005, le journaliste le plus respecté du pays était sous étroite surveillance des services de renseignements gambiens (NIA). A ce jour, aucune investigation sérieuse de la part des autorités n'a permis d'identifier les responsables de ce drame.
Depuis son arrestation, le 7 juillet 2006, par des individus présentés comme membres de la NIA, le journaliste du Daily Observer, Chief Ebrimah Manneh, est porté disparu. Annonçant tantôt la mort du journaliste, tantôt son installation aux Etats-Unis sans apporter de preuves concrètes, les autorités de Banjul ont démontré dans cette affaire leur volonté de s'exonérer totalement de leur responsabilité dans la disparition du journaliste.
En 147e position, sur 179 pays, dans le classement mondial 2011-2012 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, la Gambie est régulièrement condamnée par la communauté internationale pour les excès de son président, paranoïaque et irrationnel.
Photo : Le président Yahya Jammeh (AFP/Seyllou)
Publié le
Updated on
20.01.2016