Cameroun : les reporters des zones anglophones face aux dangers de l’insécurité

Quatre mois après l’assassinat, au Cameroun, du journaliste Anye Nde Nsoh, les journalistes sont toujours entre le marteau des groupes armés séparatistes et l’enclume des forces de sécurité gouvernementales. Reporters sans frontières (RSF) appelle les parties au respect du droit d’informer sans risques de représailles et à la mise en place de mesures efficaces de protection des journalistes.

Le journaliste Anye Nde Nsoh a été tué par balle le 7 mai 2023, à Bamenda, dans le nord-ouest du Cameroun. L’assassinat de ce chef du bureau de l'hebdomadaire The Advocate a été condamné par ses confrères, par les défenseurs de la liberté de la presse, et par le gouvernement, qui avait annoncé l’ouverture d’une enquête pour arrêter les responsables. Mais quatre mois plus tard, force est de constater que l’investigation est au point mort. Les autorités semblent se contenter de l’aveu des “forces ambazoniennes” – le groupe armé séparatiste dans cette partie du Cameroun – qui a reconnu sa responsabilité, en assurant toutefois que c’était une erreur d’identité,

La mort de ce journaliste, à seulement 26 ans, rappelle l’ampleur des  défis auxquels les reporters font face dans ces régions. Ces zones où les populations, majoritairement anglophones, s’estiment marginalisées et victimes de discrimination par rapport à la majorité francophone du pays sont, depuis 2016, le théâtre de manisfestations violemment réprimées par les forces de sécurité. L’exercice du journalisme y est devenu difficile, au regard des actes posés par les autorités camerounaises et les groupes armés séparatistes pour compromettre la liberté d’informer. Assassinats, enlèvements, arrestations et détentions arbitraires du fait des deux parties en conflit sont devenus des menaces quotidiennes pour ceux qui exercent le journalisme dans la zone.

L’assassinat de Anye Nde Nsoh révèle à quel point les journalistes dans les régions anglophones du Cameroun travaillent dans une totale insécurité, pris entre le marteau des groupes armés séparatistes et l’enclume des forces armées camerounaises. Ils sont nombreux à raconter à RSF leur quotidien fait de menaces, de détentions arbitraires et de persécutions. Nous demandons aux autorités de mettre en place des mesures efficaces de protection des journalistes, afin d’éviter que ces régions ne deviennent des zones de non-information.

Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF

Pris en étau dans le conflit qui oppose l’armée gouvernementale et les groupes armés séparatistes, les journalistes doivent sans cesse être sur leurs gardes :  Même lorsque nous nous efforçons à être équilibrés et objectifs, nous sommes accusés par les forces de l’ordre d’être ceux qui envoient des informations aux séparatistes”, se désole le journaliste freelance d’investigation Sah Terence Animbom basé à Bamenda, collaborateur du Sun Newspaper. “Ces derniers nous harcèlent en nous accusant de travailler pour le gouvernement, et nous obligent à payer une somme d'argent exorbitante avant de nous laisser franchir leurs barrages

Parmi les drames marquants dans l’histoire des exactions contre les journalistes dans la région, celui du présentateur de la chaîne régionale du sud-ouest Chillen Media Television (CMTV) est souvent cité. Samuel Wazizi est mort en détention en 2019, dans des conditions non-élucidées, après avoir été accusé de tenir des propos critiques sur la gestion des autorités de la crise dans les régions anglophones. 

Le journaliste indépendant basé à Bamenda, Wawa Jackson Nfor, a pour sa part fait les frais d’une détention abusive :  il a été retenu pendant trente-trois mois et libéré sans procès en 2021. Trois ans auparavant, le 15 mai 2018, il avait été arrêté après avoir rendu compte de la saisie, par la gendarmerie, d’antennes paraboliques d’habitants de la commune de Nkambe, au nord-ouest du pays alors qu’ils regardaient une chaîne de télévision dirigée par des séparatistes et diffusant depuis l’étranger. Cinq ans plus tard, le journaliste reste traumatisé : “J’ai été détenu au secret dans une petite cellule pendant trois jours, privé de nourriture, torturé, moqué et menacé de mort, confie-t-il à RSF. Plus tard, l’officier est venu me dire que c'était la fin de mon chemin, affirmant que j'avais publié des informations défavorables à son sujet”. 

D'autres journalistes de la région, dont le reporter indépendant Kingsley Fumunyuy Njoka, le présentateur de Abakwa FM Radio, Akumbom Elvis McCarthy et le rédacteur en chef du Lifetime Tim Finnian ont également été arrêtés entre 2018 et 2020, détenus abusivement et libérés après avoir passé plusieurs mois en prison sur la base d'accusations de “propagande sécessionniste”.

“Tout peut m'arriver à tout moment”

Les journalistes font aussi état de menaces et d’attaques physiques. Le journaliste d’investigation, Sah Terence Animbom a été roué de coups de crosse de fusil et embarqué dans un fourgon militaire en janvier 2017 pour avoir filmé une manifestation. Six ans après, il déclare à RSF qu’il ne se sent toujours pas en sécurité. “Tout peut m'arriver à tout moment dans la zone”, témoigne-t-il.

Les attaques peuvent aussi venir de responsables de l'administration, comme le raconte le journaliste de The Post Newspaper, Andrew Nsoseka, basé à Buea, dans le sud-ouest du pays. Le 14 mai 2019, il faisait partie d’un groupe de journalistes agressés par le maire de l’époque au cours d’une manifestation pacifique. “Il était sur le point de s’en prendre à une consœur que j’ai éloignée. Ses gardes du corps ont menacé de me tirer dessus”, déclare-t-il à RSF. 

Les cas d’enlèvements font aussi partie du vécu des journalistes dans ces régions. Ils sont pour la plupart le fait des groupes armés séparatistes. Nimpa Francis, rédacteur en chef de Radio Hot Cocoa à Bamenda, journaliste chevronné avec 16 ans d’expérience sur ce terrain, a été enlevé en 2019 avant d’être relâché le jour même par ses ravisseurs. “Les groupes armés séparatistes se sont montrés hostiles aux journalistes et plusieurs de nos confrères comme l’ancien directeur de l’association des journalistes de la région, Ambe Macmillan, le journaliste de Ndefcam radio Fung John, le correspondant du journal Horizon,  Etoh George et bien d'autres ont été kidnappés, harcelés ou attaqués”, indique-t-il à RSF.

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