Cameroun : 1600 jours de prison et 50 comparutions devant la justice pour Amadou Vamoulké
Arbitrairement détenu sans avoir été jugé depuis 2016 faute de preuves, l’ancien directeur général de la radiotélévision publique camerounaise se présentera pour la 50e fois devant les juges cette semaine. Reporters sans frontières (RSF) exhorte de nouveau les autorités à mettre fin à cet acharnement judiciaire contre un journaliste, complètement inédit dans l’histoire du Cameroun.
Amadou Vamoulké connaît mieux les recoins de la maison d’arrêt et du tribunal criminel spécial (TCS) de Yaoundé que sa propre maison, en travaux au moment de son arrestation le 29 juillet 2016. Ce mardi 15 décembre, le journaliste va comparaître pour la 50e fois devant les magistrats camerounais pour de supposés “détournements de fonds”, non pas à des fins d'enrichissement personnel, mais au profit de la Cameroon Radio Television (CRVT) qu’il a dirigée entre 2005 et 2016. Des accusations montées de toute pièce qui n’ont jamais été étayées malgré les audiences qui se succèdent au mépris des droits les plus élémentaires de l’accusé qui passera également cette semaine le cap des 1600 jours en détention préventive. Ce temps passé derrière les barreaux sans avoir été jugé représente respectivement trois et six fois le délai maximum autorisé par le code pénal camerounais et le tribunal spécial devant lequel le journaliste comparait.
“Jamais dans l'histoire du Cameroun, un journaliste n’a subi un tel acharnement judiciaire, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Après 1600 jours de prison et bientôt 50 audiences, les seules démonstrations qui ont été faites dans cette affaire sont celles de la vacuité des accusations portées contre lui, des tentatives grossières de dissimuler les éléments attestant de son innocence, et de la cabale ignoble menée pour broyer cette figure du journalisme malgré son âge et sa mauvaise santé. Tout semble mis en œuvre pour qu’il meurt à petit feu en prison sans même avoir été jugé.”
Saisi par RSF en 2019, le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire avaient rendu en juin dernier des conclusions sans appel sur cette affaire, soulignant que la détention provisoire de l’ancien directeur général de la CRTV n’a “pas de base légale” et que les violations du droit à un procès équitable “sont d’une gravité telle qu’elles confèrent à la détention de M. Vamoulké un caractère arbitraire.” Le groupe d’experts, qui a appelé à la libération du journaliste, s’est déclaré “profondément préoccupé” par la “gravité de l’état” de ce dernier. Il avait alors décidé de transférer son cas au rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la santé, un mécanisme également actionné par RSF, et dont nous attendons les conclusions.
Le sort des journalistes camerounais, régulièrement exposés aux pires exactions ces dernières années, fait l’objet de préoccupations qui dépassent largement les frontières du pays. La confirmation par les autorités de la mort du journaliste Samuel Wazizi dans des conditions très suspectes, plus de dix mois après les faits, alors qu’il était détenu au secret par des militaires, avait créé un émoi mondial en juin dernier. Six mois plus tard, les conclusions de l'enquête indépendante promise par le président Paul Biya se font toujours attendre.
Le Cameroun occupe la 134e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.