Bangladesh : les atteintes à la liberté de la presse se poursuivent malgré la création d’un comité de suivi du harcèlement des journalistes

Alors qu’une procédure spéciale pour examiner les cas de harcèlement contre les journalistes a été lancée sous l’égide du ministère de l'Information, ce dernier a révoqué quelques jours plus tard les cartes d'accréditation d’une soixantaine de journalistes considérés comme proches du régime de l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités du gouvernement d’intérim de ne pas utiliser le retrait de cartes comme une mesure punitive,  de mettre un terme définitif aux représailles politiques en cours contre les journalistes et de privilégier des réformes structurelles pour la liberté de la presse.


Mise à jour du 12/11/2024 :  Le 10 novembre, la Direction de l'information a annulé les cartes d'accréditation de 118 autres journalistes.  Le nombre total de cartes annulées depuis le 29 octobre s'élève à 167.


 

Le 5 novembre, le département de l'information de la presse du ministère de l'Information et de la Radiodiffusion a révoqué les cartes d'accréditation – donnant accès à toutes les conférences de presse officielles et aux bureaux du gouvernement – de 29 journalistes, considérés comme proches du précédent gouvernement de Sheikh Hasina. La veille, il avait déjà révoqué celles de 30 autres journalistes. Une décision qui intervient une semaine après la mise en place, par ce même ministère, d’une procédure d’examen des signalements de cas de harcèlement contre les journalistes. Une mesure bienvenue face à la multiplication des plaintes impliquant faussement des journalistes dans des affaires de meurtres de manifestants.

“L'annulation des cartes d’accréditation de journalistes considérés comme proches du régime précédent est une décision punitive et politiquement motivée, qui a pour effet d’intimider la presse. Cette mesure encourage l'autocensure et menace l’existence même de médias d'opposition. Une décision du ministère de l’Information et de la Radiodiffusion incompréhensible, une semaine après que celui-ci a fait un pas positif en ouvrant une procédure de signalement pour les cas de harcèlement contre les journalistes. RSF l’appelle à reprendre ce chemin plus constructif en s’assurant d’un processus réglementé pour l’obtention et le retrait de cartes de presse, en garantissant l’impartialité de l’examen des cas de harcèlement et en mettant un terme définitif aux représailles politiques contre les professionnels de l'information.

Célia Mercier
Responsable du bureau Asie du Sud

Près de 140 journalistes poursuivis

Depuis la fuite de la Première ministre Sheikh Hasina le 5 août, renversée après la répression sanglante par les forces de l’ordre du mouvement de protestation contre son régime, l’ambiance est aux représailles contre les journalistes perçus comme affiliés à l’ancien gouvernement. Près de 140 professionnels des médias ont ainsi été ciblés par des poursuites judiciaires infondées particulièrement graves : le meurtre de manifestants. Et pour 25 d’entre eux, de “crime contre l’humanité”. Nombre d’entre eux se cachent, de peur d’être arrêtés et jetés en prison. 

La mise en place d’une procédure d’examen des cas de harcèlement envers les journalistes par un comité (Committee for Monitoring Harassment Cases against Journalists in Mass Media) pourrait leur permettre d’obtenir à terme l’abandon des poursuites. Mais le doute persiste parmi certains avocats sur l’efficacité et l’impartialité de ce comité, dominé par de hauts fonctionnaires. De plus, les journalistes qui le solliciteraient doivent joindre à leur dossier “un élément de preuve admissible”, il leur revient donc de faire la preuve de leur innocence. Les dossiers seront ensuite transmis au ministère de la Justice qui décidera d’un éventuel abandon des charges. La sécurité des données personnelles des demandeurs, notamment celles indiquant où ils se trouvent, est un autre sujet d’inquiétude. 

Le 30 septembre, le nom d’un autre professionnel des médias, Mohammad Nesar Uddin, correspondant pour le quotidien national Daily Jugantor, a rejoint la liste des journalistes injustement poursuivis. Également rédacteur en chef du journal local Daily Sagarkool, publié dans le district de Barguna, dans la région côtière du sud du Bangladesh, Mohammad Nesar Uddin a été arbitrairement accusé d'avoir blessé un manifestant par balle. Selon les informations de RSF, son nom a été ajouté à une liste de 79 suspects dans un rapport de police. Comble de l’absurde, le plaignant a déclaré ne pas connaître le journaliste et n’avoir même jamais entendu son nom, selon d’autres journalistes locaux contactés par RSF.

RSF renouvelle ses recommandations au gouvernement intérimaire. Les détentions et poursuites arbitraires de journalistes doivent immédiatement cesser. Avant l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, le Bangladesh se situait à la 165e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

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