Bangladesh : le photographe Abul Kalam accusé d’attaque contre le gouvernement pour avoir couvert un transfert de réfugiés rohingyas
Interpellé pour attaque contre le gouvernement, séquestré puis finalement libéré sous caution, ce célèbre photoreporter d’origine rohingya risque toujours trois ans de prison. Reporters sans frontières (RSF) exige l'abandon immédiat des charges qui pèsent sur lui.
Il a croupi durant une semaine dans une prison de Cox’s Bazar, dans le sud-est du Bangladesh, avant d’être finalement libéré sous caution ce matin, mardi 5 janvier.
Le 28 décembre, Abul Kalam a été violemment pris à partie par des policiers alors qu’il prenait des clichés documentant l’exode imposé à 200.000 réfugiés rohingyas, depuis le camp surpeuplé de Kutupalong - le plus grand du monde - vers l’île controversée de Bhashan Char, située dans le Golfe du Bengale et administrée par la marine bangladaise.
Le photoreporter a ensuite été transféré vers la caserne de police de Cox’s Bazar, où il aurait été victime d’actes de tortures, selon une source locale proche de RSF. Alors que le droit bangladais prévoit que les gardes à vue ne dépassent pas 24 heures, Abul Kalam a passé plus de soixante heures en détention avant d’être finalement présenté devant un juge.
Il a été formellement accusé, le 31 décembre, d’obstruction exercée contre le gouvernement et d’attaque contre des officiels, en vertu du code pénal. Il risque trois ans de prison.
L'administrateur du camp de Kutupalong, Khalilur Rahman, a justifié a posteriori la détention illégale d’Abul Kalam en le présentant comme “fugitif non-identifié", et en déterrant une pseudo affaire en date du 28 mai 2020, selon laquelle le photojournaliste aurait été complice d'une attaque de policiers par des réfugiés rohingyas.
Intérêt public mondial
Selon la source de RSF à Cox’s Bazar, Abul Kalam a été arrêté parce que son travail photographique sur la gestion des camps de réfugiés rohingyas aurait déplu aux autorités locales. Plus précisément, la relocalisation forcée des réfugiés vers l’île de Bhashan Char, que le journaliste prenait en photo, fait l’objet de nombreuses critiques, notamment parce que ce territoire est largement inondable.
“Il est absolument inadmissible qu’un photoreporter soit arrêté précisément parce qu’il couvre l’une des plus graves crises humanitaires au monde, déplore Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-pacifique de RSF. Nous appelons les autorités de Cox’s Bazar à ordonner l’abandon immédiat des charges absurdes qui visent Abul Kalam.”
“Son travail qui lève le voile sur le sort actuel réservé aux populations rohingyas, déjà victimes d’actes de génocides perpétrés par l’armée birmane il y a trois ans, représente un intérêt public bien au-delà des frontières nationales.”
Abul Kalam est lui-même un réfugié d’origine rohingya qui a fui la Birmanie dans son enfance, il y a 28 ans. Son travail de documentation des conditions de vie de ses concitoyens dans les camps bangladais a récemment été récompensé par un prix photographique. Il a lui-même été l’objet d’un court documentaire diffusé sur le réseau Youtube, dans lequel il explique son travail dans le plus grand camp de réfugiés au monde.
Le Bangladesh se situe actuellement à la 150e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.