Bélarus : la loi sur les médias risque de devenir encore plus répressive

Le projet de réforme de la loi bélarusse sur les médias suscite de nombreuses inquiétudes. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à reconsidérer les amendements liberticides et à tenir compte des propositions de la profession.

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La société civile vient seulement d’en prendre connaissance, mais la réforme de la loi bélarusse sur les médias est déjà entrée dans sa dernière ligne droite : le texte doit être présenté en plénière à la chambre basse du parlement ce 19 avril. Les autorités assurent que le projet de loi, “fondé sur l’expérience mondiale”, vise à garantir l’égalité entre journalistes et à faire d’Internet un environnement “protégé”. Cependant, les journalistes indépendants, qui dénonçaient déjà, depuis longtemps, les dispositions répressives de la loi actuelle, s’alarment d’une réforme encore plus menaçante, notamment pour les médias en ligne.


“Une réforme de la loi bélarusse sur les médias est souhaitable si elle permet de faire progresser la liberté de la presse, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Les amendements présentés par le gouvernement vont malheureusement en sens inverse : loin de supprimer les obstacles indus à l’activité des médias, ils multiplient les dispositions liberticides, notamment sur Internet. Nous appelons les autorités à réviser le projet de loi en tenant compte des recommandations de la profession.”


Système à deux vitesses pour les médias en ligne


Les médias bélarusses sont actuellement soumis à une procédure d’enregistrement compliquée, dont les autorités jouent pour ostraciser les titres critiques. Loin de simplifier ou de supprimer cette procédure, le projet de loi prévoit de l’étendre aux sites d’information. L’octroi de cette licence serait soumis à des conditions strictes : une rédaction distincte de locaux résidentiels, un rédacteur en chef de nationalité bélarusse et justifiant d’au moins cinq ans d’expérience journalistique à un poste dirigeant.


Les médias en ligne ne seraient pas obligés d’obtenir cette licence, mais sans elle, leurs droits seraient limités. Sans licence, ils ne pourraient pas obtenir d’informations auprès des institutions publiques et leurs correspondants ne bénéficieraient pas du statut de journaliste. Ce qui les empêcherait de s’accréditer pour des événements officiels et les exposerait davantage au risque d’être arrêté en couvrant des manifestations. Même sans licence, les médias en ligne ne seraient cependant pas exonérés des restrictions et sanctions applicables à l’ensemble des médias.


Des sanctions encore plus sévères, encore plus arbitraires


Le projet de loi consacre la possibilité pour les autorités de bloquer n’importe quel contenu en ligne sans décision de justice, sur des fondements encore plus vagues qu’actuellement. Il suffirait pour ce faire qu’un site “diffuse des informations illégales” ou soit utilisé pour exercer des “activités illicites” – des notions dangereusement vagues, susceptibles des interprétations les plus larges. “A défaut de moyens techniques” permettant de bloquer la page incriminée, les autorités seraient autorisées à bloquer l’intégralité du site. Aucune possibilité de recours n’est prévue pour contester les décisions du ministère de l’Information, qui aurait seul le pouvoir de retirer des sites de la liste noire. Les sites d’information bloqués pourraient par ailleurs se voir automatiquement privés de licence, une sanction qui nécessite l’aval d’un tribunal dans le cas des médias traditionnels.


La “diffusion d’informations illégales” serait également passible de lourdes amendes. Une double peine, qui s’ajouterait dans la plupart des cas aux sanctions déjà prévues dans la loi actuelle. Les médias risqueraient par exemple jusqu’à 12 200 roubles bélarusses (environ 5 000 euros) d’amende pour avoir diffusé des informations provenant de partis d’opposition interdits ou considérées comme “extrémistes” par l’Etat.


La fin de l'anonymat sur Internet ?


Les amendements s’attaquent aussi à l’anonymat en ligne, une protection appréciable dans un pays répressif comme le Bélarus : les sites et forums permettant aux lecteurs de publier des commentaires seraient tenus de les identifier et de modérer leurs publications sous peine de blocage. Le texte est si vague sur ce point que ces dispositions pourraient même s’appliquer aux réseaux sociaux.


Bien que le gouvernement travaillait à ce projet de loi depuis plusieurs mois, les professionnels du secteur n’ont pu en prendre connaissance qu’à la fin mars. L’Association bélarusse des Journalistes (BAJ), partenaire de RSF, a transmis ses recommandations au parlement le 9 avril et réclamé que des experts soient consultés avant le vote. Le président de la BAJ, Andreï Bastounets, a rencontré le ministre de l’Information pour exprimer la préoccupation des journalistes. Il a regretté que les multiples propositions de l’association pour améliorer la législation actuelle n’aient pas été prises en compte.


Le Bélarus occupe la 153e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2017, établi par RSF.

Publié le
Updated on 02.05.2018