Azerbaïdjan : un journaliste d’opposition abusivement condamné pour “hooliganisme”

Tezehan Miralamli est la dernière victime des autorités habituées à monter des dossiers de toutes pièces pour faire taire les journalistes critiques. Reporters sans frontières (RSF) condamne le harcèlement dont le journaliste est victime et demande l’abandon des charges contre lui.

C’est un mode de pression couramment utilisé par les autorités azerbaïdjanaises : Tezehan Miralamli, qui travaille pour le dernier quotidien d’opposition du pays, Azadlig, a été condamné le 19 juin 2020 pour “hooliganisme” (article 221.1 du code pénal). Le pouvoir cherche une nouvelle fois à masquer aux yeux de la communauté internationale la répression des voix critiques par un vernis légal : une méthode qu'il pratique depuis de nombreuses années et notamment l’entrée du pays au Conseil de l’Europe, en 2001.


Jugé à Bakou, la capitale, le journaliste a écopé d’une peine restrictive de liberté d’un an, après la plainte d’un prétendu blogueur utilisé par le pouvoir, qui l’accuse de l’avoir frappé lors d’une altercation le 26 février dernier. La Cour impose à Tezehan Miralamli le port d’un bracelet électronique et l’assigne à résidence entre 23 heures et 7 heures, chaque jour pendant les douze prochains mois. Le journaliste s’apprête à faire appel de cette décision qui entrave son activité professionnelle. Ces mesures l’empêcheraient en effet de couvrir des événements la nuit ou à l’extérieur de Bakou, et le placerait sous surveillance policière constante.


“Arrestations, agressions, emprisonnement de ses proches… Les autorités harcèlent Tezehan Miralamli depuis huit ans, pour ses articles et ses positions politiques, déclare Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Pour ces raisons, nous demandons à la justice azerbaïdjanaise l’abandon des charges. Nous appelons également la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, à condamner la pratique des accusations fabriquées et le Comité des ministres à conditionner la participation de l’Azerbaïdjan aux institutions au respect de ses obligations et engagements.”


L’Etat a déjà été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme en 2015 et en 2016 dans deux affaires concernant Tezehan Miralamli, non directement liées à son activité journalistique. Plus récemment, en avril dernier, le journaliste a été arrêté plusieurs heures par la police après avoir réalisé une interview avec le chef du parti Front Populaire, Ali Karimli, dont il est proche.


Les accusations d’agression montées de toutes pièces comptent parmi les techniques fréquemment utilisées en Azerbaïdjan pour jeter en prison des journalistes critiques. Seymour Khazi, également employé d’Azadlig et de l’émission “Azerbaycan Saati”, a passé cinq ans derrière les barreaux pour des charges similaires. Le directeur de ces deux médias, Ganimat Zahid, a été incarcéré pendant plus de deux ans et demi, entre 2007 et 2010, pour avoir soi-disant agressé une femme. En novembre 2016, le rédacteur en chef du site d’information azel.tv Afgan Sadykhov a lui aussi été accusé de “coups et blessures” par une femme, qui se serait jetée sur lui au lieu de rendez-vous où l’avaient convoqué des fonctionnaires locaux. Elchin Hasanov a subi le même sort et a été jugé pour “hooliganisme” en 2016 après avoir porté plainte contre son agresseur. Emprisonné pour diffamation en 2017, le blogueur Mehman Huseynov a été accusé de “hooliganisme” quelques mois avant sa sortie de prison, en 2019.


Les autorités montent également des affaires fiscales. La célèbre journaliste d’investigation Khadija Ismaïlova en a fait les frais. Condamnée à sept ans et demi de prison en 2015 pour des accusations absurdes de “détournement de fonds à grande échelle”, “commerce illégal”, “évasion fiscale” et “abus de pouvoir”, libérée sous la pression internationale, elle a subi un redressement arbitraire en 2018 de 45 143 manats (près de 23 000 euros).


La police n’hésite pas non plus à répéter un grand classique des méthodes soviétiques, à savoir la “découverte” de drogue, d’armes, voire de livres interdits, au cours de perquisitions. Le rédacteur en chef du journal en langue talysh Tolishi Sado, Hilal Mammedov, a ainsi été condamné en 2014 à cinq ans de prison pour, entre autres, “trafic de drogues”.


Cet acharnement incessant des autorités a encore fait perdre deux places cette année à l’Azerbaïdjan, 168e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF. La plupart des médias critiques ont été réduits au silence ou à l’exil, les principaux sites d’information indépendants sont bloqués et pas moins de cinq journalistes sont actuellement emprisonnés.

Publié le
Updated on 25.06.2020