Avant les élections au Royaume-Uni, RSF appelle tous les partis politiques à s'engager sur dix mesures prioritaires pour renforcer la liberté de la presse

Jurica Koletić on Unsplash

À moins d'un mois des élections générales au Royaume-Uni, Reporters sans frontières (RSF) appelle tous les partis politiques à démontrer leur engagement en faveur de la liberté de la presse par des actions concrètes. À commencer par dix domaines prioritaires essentiels pour que les médias puissent travailler librement et sans crainte. 

Le Royaume-Uni n'occupe actuellement que la 23e place sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par RSF. Si la situation de la presse est jugée “satisfaisante”, il existe des problèmes très inquiétants, notamment les attaques contre les journalistes en exil; l’insuffisance de la protection législative du journalisme d'investigation, le niveau élevé d'abus en ligne de la presse; la polarisation du climat politique; et les pressions économiques exercées sur le secteur. 

À l'approche des élections générales prévues le 4 juillet, RSF définit dix domaines prioritaires pour le nouveau gouvernement afin de garantir que la liberté de la presse – et le droit des citoyens à l'information – soit renforcée au cours de la prochaine législature et reconnue comme un élément fondamental de toute société démocratique. 

Les politiciens britanniques savent bien parler de la liberté de la presse, mais il est grand temps que les dirigeants joignent le geste à la parole. Nous demandons au prochain gouvernement de faire de la liberté de la presse une priorité, en prenant rapidement des mesures pour mettre fin aux actions judiciaires abusives, en renforçant les mesures de protection pour les journalistes menacés d'attaques transnationales, en demandant aux entreprises technologiques de rendre des comptes, et en utilisant une diplomatie audacieuse pour défendre les droits des journalistes dans le monde entier. Sans liberté de la presse, il ne peut y avoir de démocratie qui fonctionne : le prochain Premier ministre britannique devra la défendre sans équivoque et garantir le droit à l'information des citoyens.

Fiona O'Brien
Directrice du bureau de Londres de RSF

RSF a identifié 10 domaines prioritaires pour une action immédiate :

 

  • Action contre les poursuites-bâillons 

Les procédures-bâillons, aussi connues sous l’acronyme anglais SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation), constituent une menace sérieuse et croissante pour la capacité des journalistes à demander des comptes aux riches et aux puissants. Le Royaume-Uni a absolument besoin d'une législation solide et d’un ensemble de mesures pour protéger les journalistes contre les SLAPP. Des progrès ont été réalisés au cours de la précédente législature, mais les parlementaires n’ont pas réussi à faire passer une loi dédiée à temps. Le nouveau gouvernement devrait donner la priorité à l'adoption d'une législation anti-SLAPP, en consultation avec les secteur et en tenant compte des leçons apprises, ainsi qu'en s'appuyant sur les progrès réalisés par la Taskforce anti-SLAPP en ce qui concerne les mesures non législatives complémentaires. 

  • Attaques transnationales contre des journalistes

Le nombre d'attaques transnationales contre des journalistes travaillant au Royaume-Uni a augmenté de façon alarmante, notamment contre des journalistes iraniens basés à Londres, dont l'un a été poignardé en plein jour au début de l'année. Non seulement ces menaces empêchent les journalistes de travailler, mais elles représentent également une attaque contre la souveraineté et la démocratie du Royaume-Uni. Le nouveau gouvernement devrait donner la priorité aux recommandations contenues dans le récent rapport de RSF, Watch Out Because We're Coming For You, qui présente des mesures pratiques à l'intention du gouvernement, des forces de l'ordre et des plateformes de médias sociaux, afin de mieux protéger tous les journalistes travaillant au Royaume-Uni. 

  • Violences en ligne contre les journalistes 

La violence en ligne contre les journalistes, en particulier les femmes, a augmenté de manière alarmante ces dernières années et a un impact psychologique et professionnel dévastateur : des études montrent qu'un nombre important de femmes envisagent d’abandonner le journalisme. Le gouvernement peut et doit faire plus pour s'assurer que les victimes soient soutenues et que les auteurs soient amenés à rendre des comptes. Cela, notamment en travaillant avec la police pour assurer un meilleur enregistrement et un meilleur traitement des crimes en ligne ; en demandant aux plateformes de médias sociaux de rendre des comptes sur la violence en ligne contre les journalistes ; et en améliorant la collecte de données pour mieux comprendre les liens entre les abus en ligne et hors ligne, et leur impact sur la liberté de la presse.

  • Journalistes britanniques détenus ou tués à l'étranger 

Bien qu'il cherche à se positionner en tant que champion de la liberté de la presse, le Royaume-Uni n'a pas de bons résultats en ce qui concerne la défense de ses propres citoyens détenus ou condamnés arbitrairement à l'étranger, ou tués dans le cadre de leurs activités journalistiques. Des ressortissants britanniques comme Jimmy Lai, jugé pour avoir publié un journal pro-démocratie à Hong Kong, Alaa Abdel Fattah, blogueur et prisonnier politique en Égypte, et Clare Rewcastle Brown, journaliste d'investigation condamnée par contumace à deux ans de prison en Malaisie, méritent le soutien plein et entier de leur gouvernement. Tout comme la famille de Christopher Allen, possédant la double nationalité britannique et américaine, qui cherche toujours à obtenir justice près de sept ans après avoir été tué au Sud-Soudan. Le nouveau gouvernement devra s'efforcer d'inverser rapidement sa réputation internationale quant au manque de soutien de ses citoyens pris pour cible à l'étranger.

  • Visas d'urgence pour les journalistes en danger

En 2020, le groupe d'experts juridiques de haut niveau sur la liberté des médias a recommandé aux États membres de la Coalition pour la liberté des médias (MFC) de mettre en place un visa d'urgence pour les journalistes, notant que cela aurait “un impact énorme sur le renforcement de la liberté des médias dans le monde”.La même année, la commission des affaires étrangères du Royaume-Uni a exhorté le gouvernement à envisager “une catégorie particulière de visas pour les journalistes et leurs associés ou familles menacés de violence” et a recommandé une meilleure coordination entre le ministère de l'intérieur et le ministère des affaires étrangères (FCDO) en ce qui concerne les visas pour les journalistes persécutés. 

Pourtant, le Royaume-Uni, bien que membre fondateur du MFC, n'a rien fait pour mettre en œuvre un tel programme, se contentant d'attendre que d'autres États membres, tels que le Canada, la République tchèque et l'Allemagne, prennent des mesures en ce sens. Le nouveau gouvernement a le devoir d'agir rapidement pour remédier à cette situation. En offrant immédiatement un refuge sûr à un petit nombre de journalistes, il enverrait un message fort aux régimes autoritaires : le Royaume-Uni accorde une réelle importance à la liberté de la presse et à la défense de la démocratie. Il contribuerait aussi à lutter contre l'effet paralysant qu'ont inévitablement les attaques contre les journalistes.

  • Respect des droits des journalistes

Ces dernières années, des cas alarmants d'abus des forces de sécurité à l'égard des journalistes ont été observés. Outre l'arrestation de journalistes couvrant des manifestations, RSF a documenté des cas de journalistes arrêtés en vertu de la législation antiterroriste alors qu'ils rentraient au Royaume-Uni, et dans le cadre desquels leurs appareils ont été fouillés et un manque de transparence inquiétant a été constaté. L'Investigatory Powers Tribunal a également révélé récemment des allégations choquantes selon lesquelles la police d'Irlande du Nord aurait mis en place des opérations de surveillance et d'autres opérations afin d'essayer d'accéder aux sources des journalistes. Le droit des journalistes à travailler librement et à protéger leurs sources est fondamental pour le journalisme d'intérêt public : le nouveau gouvernement devra non seulement le garantir, mais aussi veiller à ce que toute faute commise par les forces de sécurité dans le passé fasse l'objet d'une enquête et soit révélée au grand jour.

Le nouveau gouvernement devra également s'engager à respecter le principe – et la pratique – de l'accès libre et équitable des journalistes aux événements liés au processus démocratique. Les tentatives visant à faire payer les journalistes pour accéder aux événements politiques, ou aux tribunaux, ou encore pour qu’il se voient accorder un accès préférentiel, ne sont pas compatibles avec une presse libre et ouverte. 

  • Diplomatie internationale : Gaza et au-delà

Le Royaume-Uni doit demander sans relâche que la liberté de la presse soit respectée dans le monde entier, en reconnaissant qu'il s'agit d'un pilier des sociétés libres. Cet appel doit s'étendre aux alliés, ainsi qu'aux régimes autoritaires. La situation des journalistes à Gaza sera le dossier le plus urgent en matière de liberté de la presse pour le nouveau gouvernement, qui doit agir rapidement pour s'assurer qu'Israël cesse de tuer les journalistes palestiniens et d'étouffer l'information indépendante, et qu'il ouvre l'accès aux reporters internationaux. RSF a déposé trois plaintes auprès de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre commis par Israël contre des journalistes. Le Royaume-Uni doit faire pression sur Israël pour qu'il mette fin à la culture de l'impunité qui a permis de tels crimes et mis en danger le journalisme dans le monde entier. 

Partout dans le monde, que ce soit dans des zones de conflit ou non, le nouveau gouvernement doit utiliser son poids diplomatique pour défendre la liberté de la presse. Il devrait également veiller à ce que les équipes chargées de la liberté des médias au sein du FCDO soient suffisamment financées pour que le Royaume-uni puisse reconstruire et maintenir son leadership dans l'espace international de la liberté des médias. 

  • Détention de Julian Assange 

Le gouvernement britannique doit engager d'urgence une action diplomatique au plus haut niveau avec les États-Unis afin de trouver une solution qui empêche l'extradition de Julian Assange, qui a déjà passé plus de cinq ans à la prison londonienne de Belmarsh dans l'attente de l'issue d'une procédure judiciaire devant les tribunaux britanniques. S'il était transféré aux États-Unis, Julian Assange deviendrait le premier éditeur à être poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage et risquerait une peine de 175 ans de prison, ce qui constituerait un précédent dangereux et profondément inquiétant pour le journalisme dans le monde entier. Le gouvernement britannique doit donc faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la libération immédiate de Julian Assange, afin qu'il puisse rentrer chez lui et retrouver sa famille au Royaume-Uni ou qu'il puisse se rendre en toute sécurité dans un autre pays de son choix. 

  • Le Comité national pour la sécurité des journalistes 

Le Comité national pour la sécurité des journalistes, créé en 2020, rassemble le gouvernement, les journalistes et des organisations comme RSF pour travailler ensemble afin de garantir que les journalistes puissent mener à bien leur travail crucial à l'abri des menaces ou des attaques. Il a le potentiel d'être un forum très utile, mais a été lent à mettre en œuvre le plan d'action national publié pour la première fois en 2021, en raison de l'engagement inégal des membres, des changements de personnel au sein du gouvernement et d'un manque de ressources. Les modèles réussis dans d'autres pays montrent que des niveaux de financement plus élevés, une plus grande implication de l'industrie et une plus grande adhésion au sein du gouvernement sont essentiels si l'on veut réaliser de réels progrès dans la protection des journalistes. Le nouveau gouvernement devrait donc veiller à ce que la commission dispose de ressources suffisantes et soit pleinement habilitée à apporter des changements positifs. 

  • Comprendre l'impact de l'IA sur le journalisme

L'Intelligence artificielle (IA) a le potentiel de révolutionner le paysage mondial de l'information, mais elle représente également un défi structurel pressant pour le droit à l'information. Pour éviter que l'IA ne devienne une arme de désinformation massive, RSF – dont la Charte de Paris, publiée avec des organisations partenaires en 2023, est la première référence éthique mondiale pour l'IA et le journalisme – appelle à une réglementation complète qui amplifie les sources d'information fiables, empêche la diffusion de deepfakes nuisibles et garantit une compensation juste et transparente pour l'utilisation du contenu. Le nouveau gouvernement doit également travailler avec des partenaires internationaux pour établir des normes et des réglementations mondiales pour les systèmes d'IA dans l'espace d'information, en veillant à ce que les médias et les groupes de soutien au journalisme jouent un rôle actif dans la gouvernance internationale des systèmes d'IA.

 

 

 

 

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