Amériques

Violences et polarisation persistantes sur le continent américain

Des progressions en trompe l’oeil ; sursauts variables au sud du continent Le surgissement de mouvements protestataires d’envergure - et leur répression - avait fortement modifié la position de certains pays en 2011. Le reflux de ces mouvements change logiquement la donne un an plus tard. C’est le cas au Chili (60ème, +20), où les mobilisations étudiantes n’ont pas retrouvé en 2012 leur ampleur de l’année précédente. Les actions répressives se sont cette fois concentrées dans la région Aysén, traversée au premier trimestre par une forte vague protestataire. Cette remontée au classement mérite toutefois d’être relativisée compte tenu des graves déséquilibres au sein de son espace de communication, de la criminalisation des médias communautaires, en particulier en terre Mapuche, et des difficultés rencontrées par des journalistes enquêtant sur la dictature (1973-1990). Bénéficiant d’une dynamique similaire, les Etats-Unis (32ème, +15), où la répression dirigée contre Occupy Wall Street n’avait pas épargné les journalistes de terrain, retrouvent un rang plus conforme à leur réputation de « pays du Premier amendement ». À l’inverse, le Canada (20ème, -10) perd cette année son rang de pays le mieux noté du continent au bénéfice de la Jamaïque (13ème). Il le doit pour une part aux entraves subies par des journalistes durant le mouvement étudiant dit du « Printemps érable », mais aussi aux menaces persistantes contre le secret des sources et la protection des données privées des internautes, malmenée par le décret fédéral C-30 de lutte contre la cybercriminalité. Les nouvelles tendances les plus nettes s’observent au Sud. Le Brésil (108ème), endeuillé par les assassinats de cinq journalistes en 2012, recule encore de neuf places, après une chute de 41 rangs en 2011. Son paysage médiatique se distingue, lui aussi, par de forts déséquilibres. Très dépendants du pouvoir politique au sein des États, les médias régionaux sont les plus exposés aux attaques, aux agressions de leur personnel, ainsi qu’à des ordres de censure judiciaire affectant aussi la blogosphère. Violente, la campagne des élections municipales d’octobre 2012 a exacerbé ces situations. Guerre médiatique et coup d’État, fauteurs de chute Au Paraguay (91ème, -11), le coup d’État institutionnel du 22 juin 2012 contre le président Fernando Lugo n’a guère tardé à produire ses effets en matière de communication et d’information. Une véritable purge au sein du personnel des médias publics mis en place sous le mandat du président déchu s’est accompagnée de censures régulières de programmes. Les radios communautaires craignent aussi pour leurs trop rares fréquences. Toujours au Sud, le Pérou (105ème, +10), connu pour son taux d’agressions élevés, devance cette fois le Brésil, qui lui-même domine d’une place la Bolivie (109ème) où plusieurs médias ont été les cibles d’attentats spectaculaires (dynamitages, incendies criminels) et où la polarisation pèse nationalement et localement. Marqué par une année d’extrême tension entre le gouvernement et les principaux secteurs de la presse privée, l’Équateur (119ème, -15) passe, quant à lui, derrière le Venezuela (117ème). Plusieurs fermetures abusives de médias ont ponctué la période dans le pays andin, qui compte un journaliste tué et où plus de 170 cas de violences ont été dénombrés dans un climat de « guerre médiatique ». Bien que d’ampleur moins dramatique, la polarisation devient préoccupante en Argentine (54ème, -7) qui cède quelques places dans un contexte général d’affrontements accrus entre le gouvernement et certains secteurs de la presse privée. Au premier chef : le groupe Clarín, réfractaire à la pleine application de la nouvelle loi de régulation audiovisuelle (Ley de Medios), adoptée en 2009. À l’est du Rio de la Plata, l’Uruguay (27ème, +5) gagne à nouveau du terrain, à moins de 10 places du Costa Rica (18ème), toujours en tête des pays d’Amérique latine. Les forts contrastes observés en 2011 en Amérique centrale connaissent peu de changement en 2012. Déficits de pluralisme, tensions récurrentes avec le pouvoir politique, pressions et autocensures expliquent en large partie la quasi stagnation du Panama (111ème, +2) -  où les attaques contre les journalistes ont triplé en un an, d’après les syndicats locaux  - du Guatemala (95ème, +2) et du Nicaragua (78ème, -6). À l’inverse, le Salvador (38ème, -1) doit sa position enviable à des efforts gouvernementaux en matière de lutte contre l’insécurité, même si journalistes et médias dénoncent souvent les carences d’accès à l’information auprès des institutions et organismes publics. Une diminution globale des violences envers les journalistes et des procédures défavorables à la liberté d’informer justifie la progression de la République Dominicaine (80ème, +15), mais loin derrière son voisin Haïti (49ème, +3), où la situation reste dans l’ensemble inchangée malgré l’attitude, parfois agressive, du président Michel Martelly, dont s’estiment victimes certains journalistes. Turbulences caribéennes ; les mêmes pays dans l’abîme Tensions politiques et abus procéduriers expliquent les positions des autres pays des régions Guyanes et Caraïbes. Trinité-et-Tobago (44ème, +6) n’en a pas fini avec les tentatives de traçage de sources de journalistes et les écoutes téléphoniques sauvages, auxquelles le gouvernement avait pourtant promis de mettre fin en 2010. Au Surinam (31ème, -9), les relations parfois houleuses entre le président Desi Bouterse et une partie de la profession ne sauraient s’arranger depuis le vote de la loi amnistiant les assassinats, 30 ans plus tôt, de quinze opposants dont cinq journalistes. Le dictateur d’alors s’appelait… Desi Bouterse, revenu au pouvoir par les urnes en 2010. Dans les sept États de l’Est caribéens – OECS (34ème), un recul de huit places doit à des pressions parfois directes des pouvoirs politiques sur les rédactions ainsi qu’à un trop lent processus de dépénalisation des délits de « diffamation » et d’« injure ». Ces mêmes pressions sont dénoncés au Guyana (69ème, -11), dont le classement pâtit toujours d’une situation de monopole de l’État sur la radio. Dans les profondeurs du classement, le Honduras (127ème), où deux journalistes ont été tués en lien direct avec l’exercice de leur métier, en reste au statu quo imposé par le coup d’État du 28 juin 2009. Jamais n’ont faibli les persécutions envers les médias d’opposition et radios communautaires, ni la criminalisation des défenseurs des droits de l’homme ou des mouvements sociaux pourvoyeurs d’informations sur des questions sensibles (conflits agraires, abus de la police, droits des minorités). Malgré les espoirs suscités par les nouvelles négociations entre le gouvernement et la guérilla des FARC, la Colombie (129ème, +14) doit encore faire face à la présence du narco-paramilitarisme, véritable prédateur pour ceux qui œuvrent au service de l’information. Malgré une légère diminution du nombre d’agressions, le pays compte un journaliste assassiné en 2012. Au Nord, le Mexique (153ème, -4) conserve son rang de pays le plus dangereux du continent pour la profession, avec six tués. Violences et censure ont notamment émaillé la séquence des élections controversées du 1er juillet 2012, qui ont signé le retour à la présidence fédérale du Parti de la révolution institutionnelle (PRI). Dernier classé du continent et seul pays à ne tolérer - à de très rares exceptions -, aucune presse indépendante, Cuba (171ème) sort d’une année de forte répression envers la dissidence. L’île compte aujourd’hui deux journalistes emprisonnés, dont l’un est issu de la presse d’État.
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Updated on 20.01.2016