Alvaro Uribe répondra devant le Congrès de sa responsabilité dans le “DASgate” : “le volet des écoutes ne doit pas occulter celui des menaces et des sabotages”

L’enquête sur le scandale du Département administratif de sécurité (DAS) et des écoutes sauvages (“Chuzadas”) vient de franchir un nouveau pas, le 12 octobre 2010, avec le déclenchement d’une procédure à la Chambre des représentants permettant d’interroger l’ancien président Alvaro Uribe pour son implication présumée dans l’affaire. L’ex-chef de l’État avait d’abord nié toute responsabilité dans le dévoiement des services de renseignements sous son double mandat, afin de contrer toute critique envers sa politique dite de “sécurité démocratique”. Ce scandale, qui a lourdement ciblé la presse colombienne, a fait l’objet d’une mission et d’un rapport de Reporters sans frontières en mai dernier. D’après les documents dont nous avons eu connaissance, seize journalistes issus d’une dizaine de médias en ont été victimes. Tout en prenant acte de l’action – bien qu’aux conséquences judiciaires a priori limitées - engagée au Congrès et des ultimes avancées dans l’enquête, nous devons également pointer les insuffisances de ces dernières. Le “Dasgate” ne se limite pas à quelques écoutes téléphoniques sauvages. Il s’agit, d’abord, d’un véritable mouvement d’infiltration du paramilitarisme au sein des organes de renseignements de l’État. En pratique ensuite, l’espionnage dirigé contre des hommes politiques, magistrats, syndicalistes, défenseurs des droits de l’homme et journalistes, s’est accompagné de manœuvres d’intimidations, de détournements des programmes de protection bénéficiant à des citoyens menacés, ainsi que d’actes de sabotage et de censure. Rappelons, par exemple, les filatures visant la journaliste de Radio Nizkor, Claudia Julieta Duque, victime d’un curieux “accident” de voiture en 2008. Souvenons-nous aussi des suspensions à répétition du programme de son confrère Hollman Morris, Contravía, l’une des rares émissions dédiées aux thèmes les plus sensibles (conflit armé, question des terres indigènes, droits de l’homme), diffusée sur Canal Uno. C’est à cette même chaîne publique qu’appartiennent Daniel Coronell et Ignacio Gómez. Un cambriolage très suspect d’ordinateur - le cinquième en trois ans - a récemment eu lieu au domicile du second. Alvaro Uribe n’a pas hésité, sous sa présidence, à prendre publiquement la parole pour désigner le premier à la vindicte. Tous les journalistes cités, avec d’autres, ont subi les effets de cette “propagande noire” orchestrée par les services de renseignements avec l’aval direct de la Casa de Nariño. Certains ont dû prendre le chemin de l’exil face au danger. Hollman Morris réside actuellement aux Etats-Unis, dans le cadre d’un programme universitaire. Ces éléments graves ne figurent pas dans les attendus des sanctions disciplinaires prises, le 1er octobre 2010, contre neuf hauts fonctionnaires, dont trois anciens directeurs du DAS - Jorge Noguera Cotes, Andrés Peñate Giraldo et María del Pilar Hurtado -, et l’ancien secrétaire général de la présidence, Bernardo Moreno, désormais interdit d’exercer une charge publique pour une durée de dix-huit ans. Le document du parquet général de la nation ne mentionne pas les journalistes et autres victimes connues du DAS ni ne met en avant leurs témoignages. Un recours de Claudia Julieta Duque a, du coup, été déposé par son avocat auprès de la direction des enquêtes spéciales du parquet général de la Nation, le 6 octobre. Copie nous en a été transmise. Nous demandons son examen approfondi et le complément d’enquête auquel il doit donner lieu. Les agissements du DAS et de sa direction appellent des sanctions pénales et pas seulement administratives. Reporters sans frontières soutiendra toute démarche de la part des journalistes concernés afin qu’ils obtiennent réparation. Enfin, nous espérons que la déposition d’Alvaro Uribe lui-même devant le Congrès aidera au moins à reconstituer le fil de l’histoire. Les citoyens colombiens ont droit à toute la vérité.
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Updated on 20.01.2016