Reporters sans frontières a dépêché une délégation en République démocratique du Congo (RDC), du 7 au 9 mars 2006, afin d'apporter son soutien à son organisation partenaire à Kinshasa, Journaliste en danger (JED) et d'exhorter les autorités à faire la lumière au plus vite sur le double homicide du journaliste Franck Ngyke (photo) et de son épouse. L'organisation souhaitait notamment veiller à ce que cette affaire ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques.
Reporters sans frontières a dépêché une délégation en République démocratique du Congo (RDC), du 7 au 9 mars 2006, afin d'apporter son soutien à son organisation partenaire à Kinshasa, Journaliste en danger (JED) et d'exhorter les autorités à faire la lumière au plus vite sur le double homicide du journaliste Franck Ngyke et de son épouse. L'organisation souhaitait notamment veiller à ce que cette affaire ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques, chercher avec les autorités une issue juste et apaisante à la crise provoquée par ce crime et évaluer l'état de la liberté de la presse à Kinshasa.
Dans le cadre de sa mission, Reporters sans frontières et JED ont également élevé une vive protestation contre le comportement dangereux d'une partie de la presse congolaise, alors que le pays traverse une période déterminante pour la paix de la région.
L'affaire Franck Ngyke
Chef du service politique du quotidien indépendant La Référence Plus, Franck Ngyke a été abattu par balles dans l'enceinte de son domicile de Kinshasa, le 3 novembre 2005 à 1 heure du matin, alors qu'il rentrait de son bureau. Son épouse, Hélène Paka, a été abattue par les mêmes hommes armés, dont on ignore encore les motivations précises. Les sous-lieutenants Joël Mungande Kimbao et Didier Awatimbine ainsi que l'adjudant Munongo Muyika sont actuellement sous les verrous dans le cadre de cette affaire. Selon le colonel Mputu Mpende, auditeur militaire supérieur près l'Auditorat supérieur militaire de Kinshasa-Matete, rencontré par Reporters sans frontières et JED, il est ressorti des premières investigations menées par la police qu'ils ont utilisé les téléphones portables des victimes dans les 12 heures ayant suivi le double homicide. Deux civils ont également été arrêtés pour avoir été en relation avec les trois hommes en uniforme dans la journée du 3 novembre.
Lors d'une rencontre avec le chef de l'Etat congolais, Joseph Kabila, le 9 mars, Reporters sans frontières et JED ont obtenu l'engagement qu'un « procès public » sur cette affaire se tiendrait « avant l'élection présidentielle » prévue en juin 2006. La veille, le vice-président Azarias Ruberwa, qui préside la commission « Politique, Défense et Sécurité » du gouvernement de transition de la RDC, avait pris le même engagement.
Le président de la République démocratique du Congo, qui recevait pour la première fois depuis son accession au pouvoir la direction de JED, a également assuré que l'organisation congolaise serait « associée au suivi de l'affaire », sans en préciser les modalités. Evoquant les menaces de mort dont les membres de JED ont fait l'objet ces dernières semaines, Joseph Kabila leur a déclaré : « Vous avez la protection du Président. »
Trois journalistes incarcérés
Reporters sans frontières et JED ont également rendu visite aux trois journalistes actuellement incarcérés au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK, ex-prison centrale de Makala). Jean-Pierre Pambu Lutete, directeur du journal La Tolérance, et Jean-Louis Ngalamulume, directeur du journal L'Eclaireur, sont incarcérés dans l'attente de leur jugement dans des affaires de diffamation, tandis que Patrice Booto, directeur du trihebdomadaire Le Journal et de son supplément Pool Malebo, est incarcéré depuis le 2 novembre 2005 pour atteinte à la sécurité de l'Etat.
Lors de leurs rencontres avec les autorités congolaises, Reporters sans frontières et JED ont obtenu l'engagement que Jean-Pierre Pambu Lutete et Jean-Louis Ngalamulume seront remis en liberté provisoire dès que possible, dans l'attente des suites judiciaires qui seront données à leurs affaires respectives. Reporters sans frontières a de nouveau plaidé auprès du président Joseph Kabila, du vice-président Azarias Ruberwa, du ministre de la Justice, ainsi que du ministre de la Presse et de l'Information, pour une dépénalisation des délits de presse en RDC. L'organisation a notamment répété que, d'une part, les peines de prison pour les délits de presse étaient contraires aux standards démocratiques internationaux prônés par l'Organisation des Nations unies (ONU) ou l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). D'autre part, Reporters sans frontières a réaffirmé que des sanctions proportionnées (publications judiciaires, amendes, etc.) sont justes parce qu'elles réparent réellement le préjudice. Les emprisonnements sont non seulement injustes, mais également contre-productifs en ce qu'ils peuvent attirer une attention bienveillante sur des journalistes qui ont violé les règles de l'éthique et de la déontologie. Reporters sans frontières et JED soumettront, dans les semaines qui viennent, un projet de loi réformé aux autorités congolaises.
S'agissant de Patrice Booto, Reporters sans frontières a souligné la « situation kafkaïenne » de ce journaliste, qui a été jugé par la Cour de sûreté de l'Etat (CSE), deux jours avant la promulgation de la nouvelle Constitution qui a dissous cette instance judiciaire spéciale. Depuis cette date, le journaliste attend donc le verdict mis en délibéré de son affaire, qui doit être prononcé par une cour qui n'existe plus. Le président Joseph Kabila a annoncé que, dans le cas de ce journaliste, « la justice se prononcera » une fois l'affaire transférée à une nouvelle juridiction.
Patrice Booto, directeur du trihebdomadaire Le Journal et de son supplément Pool Malebo, est poursuivi pour « propagation de faux bruits en public », « offense au chef de l'Etat » et « outrage au gouvernement ». Il avait publié un article affirmant que le président Joseph Kabila avait offert 30 millions de dollars au secteur de l'éducation de la Tanzanie, au moment où un conflit opposait en RDC le gouvernement aux syndicats du secteur de l'enseignement. Devant la CSE, Patrice Booto a reconnu que ces informations étaient fausses.
Corruption et manipulation au sein de la presse congolaise
Parallèlement, Reporters sans frontières et JED ont souligné que, comme dans d'autres secteurs de la société congolaise, il existe un grave problème de corruption et de manipulation au sein de la presse congolaise. A l'approche d'une échéance électorale cruciale pour le pays, les deux organisations ont affirmé que le comportement de nombreux pseudo-journalistes, qui vendent les pages de parutions irrégulières au plus offrant pour compromettre ou chanter les louanges de certaines personnalités, est inacceptable. Des propos haineux sont régulièrement tenus dans les colonnes ou sur les ondes de certains médias congolais, instrumentalisés par des clans politiques ou ethniques. La pratique du journalisme a des règles et la violation de ces règles appelle des sanctions. Afin d'être en mesure de défendre efficacement les journalistes congolais, Reporters sans frontières appelle donc les organisations congolaises de défense de la liberté de la presse, les instances de régulation et d'autorégulation et les organisations professionnelles à travailler ensemble de façon à faire le ménage au sein de la profession, à observer et sanctionner tout dérapage ou détournement de la profession de journaliste.
Déroulement de la mission
La délégation de Reporters sans frontières était composée de Robert Ménard, secrétaire général, et de Léonard Vincent, responsable du bureau Afrique de l'organisation. La délégation de JED était composée de Donat M'Baya Tshimanga, président, de Tshivis Tshivuadi, secrétaire général, et de Charles Muggaga Mushizi, conseiller juridique.
Elles ont été reçues par le président de la République, M. Joseph Kabila ; par le vice-président en charge de la commission « Politique, Défense et Sécurité », M. Azarias Ruberwa ; par le représentant spécial de l'Organisation des Nations unies, M. William Lacy Swing ; par le chef de la Délégation de la Commission européenne en RDC, M. Carlo De Filippi ; par l'ambassadeur de France en RDC, M. Georges Serre.
Outre les trois journalistes incarcérés, elles ont également rencontré les enfants de Franck Ngyke, Djudju et Francine, ainsi que leur cousin Cloclo, témoins oculaires du double homicide ; André Ipakala, directeur de La Référence Plus ; le colonel Mputu Mpende, auditeur militaire supérieur près l'Auditorat supérieur militaire de Kinshasa-Matete, en charge du volet militaire de l'enquête ; le ministre de la Justice, M. Kisimba Ngoy ; le ministre de la Presse et de l'Information, M. Henri Mova Sakanyi ; le président de la Haute Autorité des médias, M. Modeste Mutinga ; et le comité directeur de l'Union nationale de la presse congolaise (UNPC).