“Un pas en avant, deux pas en arrière pour la liberté de l’information”

Reporters sans frontières prend acte de la décision du Département de la Justice de renforcer les directives adressées aux procureurs en cas d’enquête concernant des médias. L’organisation reste néanmoins préoccupée par les évolutions de la situation générale de la liberté de l’information. Les nouvelles directives ont été conçues après de vives critiques envers les agissements controversés du gouvernement, comme la récente saisie des relevés téléphoniques d’Associated Press et le mandat de perquisition lancé contre un reporter de Fox News. L’état de la liberté de l’information aux États-Unis laisse actuellement beaucoup à désirer. “Les nouvelles directives publiées par le Département de la Justice, restreignent l’usage des citations à comparaître et des mandats de perquisition contre des journalistes. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Pour autant, la guerre menée contre les donneurs d’alertes et l’absence de protection des sources pour les journalistes persistent au niveau fédéral. La récente décision concernant James Risen pose un véritable problème. Au final, on peut parler d’un pas en avant et de deux pas en arrière pour la liberté de l’information aux États-Unis”, déclare Reporters sans frontières. Suite à la décision d’une cour d’appel fédérale à Richmond (Virginie) rendue le 19 juillet dernier, le journaliste du New York Times James Risen devra témoigner lors du procès d’un ancien agent de la CIA, Jeffrey Sterling, poursuivi pour des fuites d’informations classifiées. L’ancien fonctionnaire est accusé d’avoir transmis ces données à James Risen, en violation de l’Espionage Act. James Risen a consacré un chapitre à cette histoire dans son livre State of War: The Secret History of the CIA and the Bush Administration (L’État de guerre : l’histoire secrète de la CIA et l’administration Bush), lequel révèle une opération secrète au cours de laquelle les services de renseignement américains ont tenté de fournir des plans d’armes nucléaires défectueuses à des officiels iraniens. “Même si je suis déçu par cette décision de justice, je reste plus résolu que jamais à me battre. Je protègerai toujours mes sources.”, a réaffirmé James Risen à Reporters sans frontières, en réaction au jugement de la cour d’appel de Richmond. A l’heure où nous publions, James Risen et son avocat n’ont pas encore défini leur prochaine action judiciaire. “Les fuites constituent le cœur du journalisme d’investigation”, rappelle Reporters sans frontières. “Comme pratiquement toutes les informations relatives à la sécurité nationale sont classées secrètes, et comme le Département de la Justice estime que le privilège du secret des sources accordé aux journalistes ne s’applique pas si ces derniers enquêtent dans ce domaine, il est évident que les pressions exercées sur les donneurs d’alertes ont pour but de limiter l’information aux seules versions officielles. Cette situation souligne la nécessité d’une “loi bouclier” (shield law) fédérale qui soit réellement protectrice”, ajoute l’organisation. Une loi bouclier garantirait aux journalistes le droit de ne pas divulguer de données confidentielles sur leur travail ni l’identité de leur source. La confidentialité des sources est vitale pour la profession. Sans cette protection, aucun informateur n’osera se manifester et la vérité sur certains événements polémiques ne sera jamais mis au jour. Le 15 mai dernier, la Maison Blanche a sollicité le sénateur Charles E. Schumer (démocrate, État de New York) pour réintroduire une version du Free Flow of Information Act (loi sur la libre circulation de l’information), soit une forme de loi bouclier, qu’il avait défendue au Sénat en 2009. Les représentants John Conyers (démocrate, Michigan), Ted Poe (républicain, Texas) et Trey Radel (républicain, Floride) ont également tenté d’inscrire à l’ordre du jour de la Chambre basse une loi bouclier qui y avait été débattue antérieurement. La version que l’administration Obama espère voir voter est celle introduite au Sénat en 2009, car elle autorise en fait davantage de dérogations à la protection des données confidentielles et des sources d’information que celle de la Chambre. A l’image du Whistleblower Protection Act (la loi protégeant les donneurs d’alertes), la proposition de loi sénatoriale prévoit des clauses d’exception majeures pour des articles ou reportages reposant sur des fuites relatives à la sécurité nationale. En outre, cette future loi bouclier exclurait spécifiquement WikiLeaks et les autres sites qui ne remplissent pas les critères imposés par le législateur définissant un support d’information. Lesdits critères ne s’appliquent donc pas à certains reporters du web, blogueurs et journalistes indépendants. “Toute loi bouclier doit résoudre les difficultés ici posées à l’ensemble des journalistes”, estime Reporters sans frontières. “La loi bouclier proposée au Sénat n’aurait pas protégé Associated Press de la saisie de ses relevés téléphoniques par les services du gouvernement comme elle n’aurait pas évité au journaliste de Fox News James Rosen la traque de ses informateurs. Les sources confidentielles ont été cruciales pour informer le public de certains agissements du gouvernement fédéral, comme les abus sur les prisonniers d’Abu Ghraïb et le scandale du Watergate. Ces événements démontrent combien le débat public sur les méthodes de l’armée et des services de renseignement est indispensable pour établir une vigilance citoyenne. Sans loi bouclier, le journalisme d’investigation aux États-Unis pourrait perdre sa raison d’être”, a conclu Reporters sans frontières. Ces inquiétudes concernant l’avenir de la liberté de l’information relèvent d’une tendance plus large observée ces derniers mois. L’administration Obama a désigné James Rosen comme “complice de conspiration” dans le cadre des poursuites engagées contre le donneur d’alerte Stephen Jin-Woo Kim, ancien fonctionnaire du Département d’État. Jeffrey Sterling, lui, est le septième ancien employé gouvernemental inculpé au titre de l’Espionage Act depuis l’accession au pouvoir de Barack Obama, aux côtés de l’ancien technicien de la NSA Edward Snowden et du soldat Bradley Manning, actuellement jugé pour avoir transmis des documents à WikiLeaks.
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016