Russie : inscrit sur la liste des “agents de l’étranger”, le média en ligne indépendant le plus populaire du pays risque de disparaître

Après son inscription sur le registre des “agents de l’étranger”, le site d’information Meduza est touché par un départ massif de ses annonceurs. En une semaine, il a été contraint de fermer ses bureaux et de réduire drastiquement les salaires de ses employés. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une atteinte grave au pluralisme médiatique en Russie et appelle à la suppression de cette loi liberticide.

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Aucun doute pour Ivan Kolpakov, le rédacteur en chef du site d’information indépendant le plus populaire de Russie : "l'objectif des autorités est de tuer Meduza”. Fondé à Riga (Lettonie) en 2014, le média est sur la sellette depuis que le ministère de la Justice russe l’a inscrit sur la liste des agents de l’étranger, fin avril. Une décision que Meduza prévoit de contester en justice.


En l’espace de quelques jours, ce site d’information, qui revendique plus de 13 millions de visiteurs uniques par mois, a dû fermer ses bureaux à Riga et Moscou, réduire les salaires des employés de 30 à 50% et se séparer de ses pigistes. Dépendant principalement des revenus publicitaires, Meduza a perdu une bonne partie de ses annonceurs et craint de voir bientôt les autres s’en aller. Pour tenter de contrer ces lourdes pertes de revenu et continuer à informer, le média indépendant a lancé un appel aux dons


Cette annonce est un coup de massue pour le pluralisme de la presse en Russie, déplore la responsable du bureau Europe centrale et Asie de l’est de RSF, Jeanne Cavelier. Meduza a été créé à l’étranger pour que sa rédaction puisse travailler en toute indépendance, face aux tentatives croissantes des autorités de contrôler les médias en ligne depuis les grandes manifestations de 2011-2012 dans le pays. RSF demande au ministère de la Justice russe de supprimer ce registre infamant et liberticide des médias ‘agents de l’étranger’ qui n’existe que pour renforcer la mainmise du pouvoir sur la presse.”


Adoptée en 2017, la loi sur les médias “agents de l’étranger”, n’a cessé d'être amendée pour devenir de plus en plus contraignante. Comme le site d’information indépendant PASMI, inscrit le même jour sur la liste du ministère de la Justice, Meduza doit désormais apposer devant chacune de ses publications (texte, audio, vidéo, publicité) la mention “agent de l’étranger” dans une police deux fois plus grosse que le reste du contenu. Cette désignation vise à décrédibiliser le média aux yeux de ses lecteurs et implique une lourde charge administrative, à savoir la déclaration auprès du ministère de tous ses revenus et ses dépenses. Ses correspondants en Russie courent également le risque d’être eux-mêmes considérés comme "agents de l’étranger”. S’il ne se soumet pas à ces obligations, les autorités peuvent infliger à Meduza de lourdes amendes, voire bloquer le site.


C’est ce qui risque d’arriver aux entités russes du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL). Condamnées à près de deux millions d’euros d’amende après avoir refusé de s’enregistrer comme “agents de l’étranger”, elles risquent de disparaître du paysage médiatique. RFE/RL a fait appel, jusqu’ici en vain, auprès des tribunaux russes et a déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).


La Russie qui, entre l’année 2020 et l’année 2021, a perdu une place au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par RSF, se situe désormais 150e sur les 180 pays évalués.

Publié le
Mise à jour le 06.05.2021