Russie : clap de fin pour le principal journal indépendant de Kaliningrad, harcelé par les autorités

Au terme de cinq mois de pressions, le principal journal indépendant de Kaliningrad, Novye Kolesa, met la clé sous la porte. Reporters sans frontières (RSF) dénonce l’acharnement intolérable des autorités russes, qui aboutit à la censure d’un des plus anciens titres de la région.

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Novye Kolesa a fait face à toutes formes de pressions au cours de ses 23 ans d’existence. Mais l’offensive à laquelle l’hebdomadaire de Kaliningrad est confronté depuis cinq mois est sans précédent : arrestation de son rédacteur en chef, saisie d’une partie de son équipement, perte de ses annonceurs, procès en série, avertissements de l’autorité de régulation ouvrant la voie au retrait de sa licence… Le coup final a été porté avec le retrait de Novye Kolesa des réseaux de distribution de la presse et l’interruption de son impression. Son rédacteur en chef par intérim, Youri Grozmani, a annoncé le 4 avril que le journal mettait un terme à ses activités : le numéro du 5 avril est le dernier.


Le précédent tirage a été retiré de la vente peu après sa parution, le 29 mars. Selon les témoignages recueillis par le journal, des inconnus sont d’abord venus saisir les exemplaires en vente et intimider les kiosquiers, puis les responsables des réseaux de distribution ont eux-mêmes donné l’instruction de dissimuler le reste. La une de ce numéro était consacrée à la mort en détention d’un habitant de Kaliningrad. Novye Kolesa avançait qu’il avait été torturé à mort par le FSB et publiait les photographies des agents incriminés.


Les réseaux de distribution prétendent désormais que la vente de l’hebdomadaire n’est pas rentable - bien que chaque tirage soit habituellement épuisé en quelques jours. L’imprimerie qui éditait le journal a elle aussi avancé ce prétexte, le 4 avril, pour justifier l’interruption abrupte de son contrat avec Novye Kolesa. Youri Grozmani explique quant à lui que le gouverneur de la région, Anton Alikhanov, “a fait pression sur les circuits commerciaux”.


Ce n’est pas son rédacteur en chef, Igor Roudnikov, qui pourra défendre le journal cette fois-ci puisqu’il est emprisonné depuis début novembre. Un tribunal de Moscou a prolongé sa détention provisoire, le 29 mars, pour au moins deux mois. Réputé pour ses investigations sans concession sur la corruption et la vie politique locales, le journaliste est accusé d’extorsion de fonds dans une affaire que RSF considère comme montée de toutes pièces.


“Les autorités auront tout mis en oeuvre pour faire taire Novye Kolesa et son rédacteur en chef, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. Leur sort en dit long sur la reprise en main des médias dans une région qui comptait hier encore parmi les moins hostiles au journalisme. Nous demandons fermement aux autorités de mettre un terme à ce harcèlement, qui constitue un acte de censure pure et simple. Elles doivent laisser Novye Kolesa reprendre ses activités, remettre Igor Roudnikov en liberté sans délai et abandonner les poursuites ouvertes contre lui et ses collègues.”


Igor Roudnikov est accusé d’avoir fait chanter le général Viktor Ledenev, responsable local du Comité d’enquête, l’institution en charge des crimes les plus graves. Il risque jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle. La défense met en avant de nombreux vices de procédure et l’absence de toute preuve matérielle. Les collègues du journaliste soulignent que le général Ledenev, visé en juin 2017 par une enquête sur des propriétés immobilières non déclarées que Novye Kolesa lui attribuait, aurait eu tout intérêt à se débarrasser du journaliste importun.


La situation des médias locaux s’est nettement dégradée depuis l’arrivée à la tête de la région de Kaliningrad du jeune gouverneur Anton Alikhanov, proche des cercles de Vladimir Poutine, en septembre 2017. Tandis que se multipliaient procès et menaces, l’audiovisuel public a adopté une ligne éditoriale plus agressive vis-à-vis de la presse indépendante. Plusieurs titres ont mis la clé sous la porte, d’autres ont adouci le ton vis-à-vis des autorités locales. Kaliningrad est l’une des onze villes qui accueilleront les matches de la Coupe du monde de football l’été prochain.


La Russie occupe la 148e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2017, publié par RSF.

Publié le
Mise à jour le 06.04.2018