RSF Espagne reçoit le prix "Avocats d’Atocha" pour sa contribution à la défense des libertés

Le prix rend hommage aux avocats assassinés par des terroristes franquistes, en 1977, et distingue aussi l’ex-président de l’Uruguay, José Mujica

Le 24 janvier 1977, trois hommes armés liés à l’extrême droite franquiste espagnole se rendaient au 55, rue Atocha, à Madrid, et vidaient leurs chargeurs sur les avocats proches au parti communiste qui se trouvaient sur place. La tuerie d’Atocha fit cinq morts et quatre blessés graves. Manuela Carmena, l’actuelle maire de Madrid, faisait partie de l’équipe et échappa miraculeusement au massacre grâce à un concours de circonstances. L’objectif des terroristes était de chambouler la transition de la dictature à la démocratie, entamée en 1975 après la mort de Franco et la succession du Roi Juan Carlos. La tuerie d’Atocha eut l’effet inverse : les communistes répondirent de façon pacifique, le PC espagnol fut légalisé officiellement quelques mois plus tard, et la gauche et la droite se réunirent pour rédiger la Constitution espagnole, qui fut approuvée en 1978. Depuis, l’assassinat des avocats d’Atocha est considéré comme un symbole de la lutte pour les libertés et la démocratie en Espagne.


Formée par les survivants de l’attentat et d’autres membres du syndicat CCOO (Commissions Ouvrières) de Madrid, la Fondation Abogados de Atocha a créé, il y a une quinzaine d’années, des prix qui rendent hommage aux victimes et visent à rappeler leur mémoire et leur esprit, en distinguant des personnes et organisations qui luttent pour la défense des droits et des libertés. La section espagnole de Reporters Sans Frontières a eu l’honneur de recevoir le « Prix Abogados de Atocha 2018 », lors du 41ème anniversaire du massacre, au cours d’une cérémonie émouvante qui s’est déroulée à l’auditoire « Marcelino Camacho » de Madrid, devant une salle pleine à craquer.


Le président du syndicat CCOO et actuel seul survivant de l’attentat, Alejandro Ruiz-Huerta, ainsi que le secrétaire général du syndicat, Unai Sordo, et le secrétaire général de CCOO Madrid, Jaime Cedrún, ont remis le prix à Alfonso Armada, président de RSF Espagne et aux deux vice-présidentes de la section, Macu de la Cruz et Alicia Gómez Montano. Le secrétaire général de CCOO a mis l’accent sur l’importance du journalisme pour “nous aider à faire la différence entre ce qui est important et ce qui est accessoire », ainsi que pour “ nous empêcher de rester indifférents”, alors que Alejandro Ruiz-Huerta a demandé à l’équipe de RSF Espagne “de lutter non seulement pour la liberté de presse, mais aussi pour le rétablissement de la vérité, séquestrée par la post-vérité”.


Dans son discours, Alfonso Armada a évoqué la mémoire des personnes assassinées et revendiqué la lutte contre l’oubli comme une forme de réparation et de justice. “Sans la mémoire, nous ne sommes rien ou, comme évoquent les vers de Paul Éluard choisis pour rendre hommage aux avocats : ‘si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons, ”a déclaré Alfonso Armada.


Le président de RSF Espagne s’est arrêté sur l’histoire de Alejandro Riz-Huerta, président de la Fondation (et seul survivant du massacre) qui lui a remis le prix : “Il a survécu grâce au corps de son collègue Enrique Valdelvira (assassiné), mais aussi grâce à un stylographe Inoxcrom qu’il portait dans la poche de sa chemise et que son collègue Angel Rodríguez (assassiné) lui avait offert quelques heures avant. Ce stylo a réussi à dévier la trajectoire d’une balle sûrement mortelle. Les stylos servent à raconter la vérité, mais parfois, de façon inattendue, ils peuvent aussi servir de bouclier et arrêter les balles.

La section espagnole de RSF est d’autant plus fière de ce prix qu’il est partagé avec l’ex-président de l’Uruguay, Jose Mujica, connu et reconnu mondialement, au-delà de toute idéologie, comme un homme engagé pendant toute sa vie pour la lutte contre les inégalités et en faveur des libertés. Mujica n’a pas pu venir en personne pour recevoir son prix, ses médecins lui ayant déconseillé de se déplacer mais le fera dans les prochains mois lors d’ un événement auquel RSF aura l’honneur de participer également. “Je reçois cette distinction comme un hommage aux légions de combattants anonymes qui luttent pour les droits sociaux de mon pays, et qui forgent les marches de l’escalier sur lesquelles avance le progrès de l’Humanité,” a dit José Mujica.


Le secrétaire général du syndicat CCOO à Madrid, Jaime Cedrún, a rappelé que le 24 janvier est “la journée des avocats en danger en Europe” , en mémoire des Avocats d’Atocha et a souligné que, de même que les avocats ne peuvent exercer leur profession librement partout, “65 journalistes ont été tués, 326 sont actuellement en détention et 54 sont retenus comme otages dans le monde”, d’après le Bilan 2017 publié par RSF.

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Updated on 30.01.2018