RSF dénonce une campagne de cyber-harcèlement de femmes journalistes orchestrée par le gouvernement pakistanais
Suite à l’appel lancé par une poignée de journalistes pakistanaises contre l’actuelle campagne de cyber-harcèlement organisée contre elles par des éléments proches du gouvernement d’Islamabad, Reporters sans frontières (RSF) exige des autorités qu’elles fassent en sorte que cessent ces appels à la haine et ces menaces.
L’appel a été lancé par vingt journalistes, qui ont publié un communiqué conjoint le 12 août dernier, alors relayé par RSF. Aujourd’hui elles sont déjà près d’une cinquantaine de signataires. Dans le texte rendu public, elles y dénoncent une “campagne certainement très bien définie et coordonnée”, qui vise des femmes journalistes ou des analystes “dont les points de vue diffèrent, ou dont les reportages s’avèrent critiques du gouvernement pakistanais, et plus précisément de sa gestion de la pandémie de coronavirus.”
“Les femmes journalistes sont des cibles faciles pour le cyber-harcèlement, note Shehar Bano, rédactrice au journal The News International et vice-présidente de l’Union fédérale des journalistes du Pakistan. Ce ne sont pas des gens ordinaires qui s’en prennent à nous. Ce sont des gens qui nous connaissent très bien. Ce sont des gens qui jouissent de soutiens politiques.”
Harcèlement sexiste, insultes et appels au viol
“Je ne tweete pas beaucoup, mais dès que l’on publie un tweet, la violence des trolls commence, avec pour but de nous faire taire, décrit Asma Shirazi, journaliste politique pour la chaîne d’information Aaj News TV, et titulaire 2014 du prix Peter Mackler pour un journalisme courageux et éthique. Harcèlement sexiste, insultes et appels au viol font désormais partie du quotidien de plusieurs femmes journalistes au Pakistan.”
Le phénomène est si violent que certaines journalistes se sentent poussées à se taire. Asma Shirazi poursuit : “Mes proches n’osent plus me suivre sur les réseaux sociaux pour ne pas avoir à subir les propos injurieux que les trolls m’infligent pour me faire taire. Même ma mère m’a demandé de quitter le journalisme.”
Selon Benazir Shah, reportrice pour la chaîne de télévision Geo News, cette campagne de cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux épouse un modus operandi très spécifique. “Ce sont d’abord des représentants du gouvernement qui vous visent en vous traitant de ‘fake news’, d’‘ennemies du peuple’ ou de ‘journaliste lifafa’ (journalistes payées, corrompues),” explique-t-elle.
“Après ce harcèlement institutionnel, des comptes Twitter comportant le drapeau du Mouvement du Pakistan pour la justice [le parti au pouvoir] ou une photo du Premier ministre Imran Khan vous prennent en chasse et vous bombardent d’insultes.”
Gouvernement coupable
“Nous tenons les plus hautes instances du gouvernement pakistanais comme complices, sinon coupables, de ces récentes campagnes de cyber-harcèlement contre certaines journalistes qui ne suivent pas ‘la ligne’, prévient Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF.
“La manœuvre, qui vise clairement à intimider tout élément critique des autorités, viole de façon choquante l’article 19A de la Constitution de la République islamique du Pakistan. Nous appelons le Premier ministre Imran Khan à faire en sorte que cessent ces insupportables appels à la haine.”
“Aucun membre du gouvernement ou représentant des autorités ne nous a fait signe depuis que nous avons publié notre communiqué, regrette Benazir Shah, par ailleurs lauréate du prix 2013 de l’Association des correspondants des Nations unies. Pire, après qu’il a été publié, le harcèlement en ligne s’est intensifié. Cela suscite chez les femmes journalistes un vaste sentiment de détresse, une impuissance à pouvoir se battre contre ce harcèlement en ligne.”
Le jour de la parution du communiqué commun, RSF publiait une enquête spéciale sur le meurtre sauvage d’Arooj Iqbal, qui voulait être la première femme journaliste à lancer son propre journal au Pakistan, et qui restera comme la première reportrice du pays à être abattue en raison de son métier.
Le Pakistan se classe 145e sur 180 pays dans l’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.