Quatre ans après la mort de Hrant Dink, Nedim Sener publie de nouveaux éléments d’enquête

Lire la tribune parue dans Le Monde du 20 janvier 2011 : Justice pour le journaliste Hrant Dink Alors qu’au quatrième anniversaire de la mort de Hrant Dink, ses assassins n’ont toujours pas été condamnés, le nouveau livre du journaliste Nedim Sener apporte des éléments inédits sur les circonstances de la mort du fondateur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Agos. Hrant Dink avait été abattu, le 19 janvier 2007, devant les locaux du journal. Dans “Vendredi Rouge : Qui a cassé la plume de Dink ?” (paru le 15 janvier 2011 aux Editions Dogan) Nedim Sener accuse la police d’Istanbul d’avoir menti à la justice à l’ouverture du procès de l’assassinat de Hrant Dink. Le journaliste d’investigation étaye cette allégation en publiant un document daté du 2 mars 2004, soit trois ans avant l’assassinat de Hrant Dink. Le directeur adjoint de la Sécurité à Istanbul, Hakan Aydin Türkeli, y évoque les menaces qui pèsent sur la vie du journaliste d’origine arménienne et réclame une protection de son domicile et du bureau de l’hebdomadaire Agos. Les raisons pour lesquelles le journaliste était menacé y sont clairement exposées : la publication d’un article évoquant l’origine arménienne de Sabiha Gökçen, fille spirituelle de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque en 1923 ; ainsi qu’un autre article intitulé “De l’Identité Arménienne”. Hakan Aydin Türkeli affirmait que Hrant Dink avait été menacé par des groupuscules ultranationalistes. Lors d’une manifestation organisée le 26 février 2004 devant les locaux d’Agos à Istanbul, le journaliste avait reçu ces menaces par téléphone : “Hrant Dink, tu es désormais la cible de notre haine! Tu es en ligne de mire de la Nation turque!”. Hakan Aydin Türkeli avait envoyé cette lettre à la police de Bakirköy, quartier où était domicilié Hrant Dink, à celle de Sisli, où se trouvent la rédaction et à la section antiterroriste, afin de leur demander explicitement de protéger le journaliste. Des informations qui contredisent les déclarations de ces services. Le 1er mai 2008, suite à une pétition présentée par l’avocate de la famille Dink, les chefs de la police d’Istanbul avaient été interrogés sur les éventuelles menaces qu’avait pu recevoir Hrant Dink avant son assassinat. Ali Fuat Yilmazer, l’ancien responsable des renseignements avait alors répondu : “Nous ne disposons d’aucune information qui établit que Firat (Hrant) Dink ait reçu quelque menace que ce soit avant d’être assassiné”. Le chef de la section antiterroriste, Selim Kutkan, avait également déclaré qu’”aucun document de cette nature n’existait dans les archives de l’institution”. Nedim Sener pose aussi dans son ouvrage la question suivante : Comment se fait-il que la police d’Istanbul ait pu ignorer la nouvelle mise en garde transmise dans le rapport F4 du 15 février 2006 par la police de Trabzon où était clairement écrit “Yasin Hayal va tuer Hrant Dink, quelque soit le coût” ? L’écrivain rappelle également que Ogün Samast, tueur présumé de Hrant Dink, était rassuré d’être arrêté dès le 20 janvier 2007 car “un groupe nationaliste était prêt à l’éliminer, une fois arrivé à la ville de Giresun”. C’est ce que Ogün Samast avait déclaré le 15 avril 2008 aux inspecteurs des services du Premier ministre. Il avait cependant refusé de signer cette déposition. Reporters sans frontières soutient et salue ce travail d’enquête rigoureux effectué par le journaliste Nedim Sener pour faire la lumière sur les responsables de l’assassinat de Hrant Dink. L’organisation appelle les autorités judiciaires turques à prendre en compte ces éléments d’enquête dans l’établissement de leur jugement, à l’instar de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Il est primordial que tous les auteurs présumés de ce crime soient jugés selon leur implication dans cet odieux assassinat, quelle que soit leur position dans l’appareil d’Etat, ils ne sauraient échapper à la justice. Le procès des 19 accusés du meurtre de Hrant Dink se poursuivra le 7 février 2011 devant la 14ème Chambre de la cour d’assises d’Istanbul. Le dossier de Ogün Samast a été transféré au tribunal pour enfants de Sultanahmet lors de la dernière audience, sur le principe qu’il était mineur au moment du crime. La mort du journaliste sera commémorée pour la quatrième fois le 19 janvier à 15 heures, dans le quartier de Sisli, où il a été tué.
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Updated on 20.01.2016