Philippines : le site Rappler poursuivi en diffamation pour un article publié en 2012

Reporters sans frontières (RSF) condamne avec la plus grande fermeté la nouvelle plainte ubuesque déposée cette semaine par le ministère philippin de la Justice contre le site d’information Rappler, au sujet d’un article datant de 2012. L’organisation appelle la cour à abandonner les charges.

Cela confine à l’absurde. Le parquet philippin a officiellement annoncé aujourd’hui, mercredi 6 février, qu’il engageait des poursuites pour diffamation à l’encontre du portail d’information Rappler, de sa directrice Maria Ressa et d’un ancien chroniqueur judiciaire du site, Reynaldo Santos Jr.


L’objet du litige : un article publié en 2012 sur les liens supposés entre le président de la Cour suprême de l’époque et un homme d’affaires philippin, Wilfredo Keng. Cinq ans plus tard, ce dernier a décidé de porter plainte pour diffamation en octobre 2017 en s’appuyant sur une loi sur la cybercriminalité en ligne, qui avait pourtant été promulguée plusieurs mois après la parution de l’article.


La loi n’étant pas rétroactive, et le délai de prescription d’un an pour déposer plainte ayant été largement dépassé, les enquêteurs du Bureau national d’investigation ont logiquement classé cette plainte sans suite en février 2018, avant de se dédire en mars. Le ministère de la Justice exhume aujourd’hui cette nouvelle affaire en arguant d’une prétendue “règle de la publication continue”. Les poursuites sont passibles de douze ans de réclusion.


“Acharnement pathétique”


“L’acharnement judiciaire employé par l’équipe du président Rodrigo Duterte pour harceler les journalistes de Rappler vire au pathétique, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Ce serait presque risible si cette décision ne représentait pas un terrible précédent qui pourrait devenir jurisprudence. Nous appelons la cour qui jugera cette affaire à faire montre de son indépendance et de sa clairvoyance en abandonnant les charges une bonne fois pour toutes.”


Rappler fait depuis plus d’un an l’objet d’attaques systématiques des autorités pour intimider ses journalistes. En novembre dernier, le gouvernement avait déposé quatre plaintes contre Rappler et Maria Ressa pour évasion fiscale” et “déclaration de revenus erronés” devant la cour d’appel des affaires fiscales, suivie d’une cinquième en décembre, et ce pour des motifs parfaitement fallacieux.

 

Vices de procédure

 

En janvier 2018, la Commission des opérations en bourse des Philippines (Securities and Exchange Commission, SEC) annonçait la révocation de la licence du site au prétexte qu’il aurait vendu son capital à des groupes étrangers à travers des Certificats de dépôts philippins (CDP) - quand bien même ceux-ci ne constituent en rien des titres de propriété.

 

RSF avait saisi les instances internationales de cette violation flagrante de l’indépendance d’un média. En juillet, la Cour d’appel saisie par Rappler a finalement souligné les vices de procédures entourant la décision de la SEC.

 

Entre-temps, la correspondante du site d’information auprès de Malacañang, le palais présidentiel philippin, a été bannie par Rodrigo Duterte en personne.

 

Les Philippines se classent à la 133e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2018.

Publié le
Mise à jour le 06.02.2019