Pakistan : RSF réclame une enquête indépendante sur le meurtre du reporter Zulfiqar Mandrani

Le journaliste, basé dans le sud-est du Pakistan, a reçu deux balles dans la tête. Compte tenu des premiers éléments de l’enquête, manifestement viciée, de la police locale, Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités provinciales à diligenter une équipe d’enquêteurs indépendants pour faire la lumière sur ce crime odieux.

Les coupables tentent de faire passer l’assassinat du journaliste Zulfiqar Mandrani pour un crime d’honneur. Rédacteur pour les quotidiens en langue sindhi Kawish et Koshish, le reporter a été retrouvé, mardi 26 mai, avec deux balles logées dans la tête et des traces de torture sur tout le dos, dans un local situé en banlieue de Larkana, une ville de la province du Sindh, dans le sud-est du Pakistan.


Le jour-même, la police de Dodapur, la localité où a eu lieu le meurtre, s’est empressée de conclure à un motif personnel pour expliquer ce meurtre, mettant en avant le témoignage de deux suspects, Riaz Hussain Daiyo et Nazir Daiyo, qui auraient “confessé avoir tué le journaliste dans le cadre d’un crime d’honneur”


Une version fermement contestée par la famille du reporter, qui a déposé plainte aujourd’hui, jeudi 28 mai. Dans le procès-verbal dont RSF a pu lire une copie, le père du journaliste, Rahim Jam Mandrani, désigne plusieurs suspects, dont un officier de police, en lien avec le parrain local du trafic de drogue - trafic sur lequel enquêtait précisément le journaliste. “Avant son meurtre, mon fils a reçu des menaces de mort de la part des suspects pendant plusieurs jours”, explique le père dans le procès-verbal.


Mobile réel ignoré


Interrogé par RSF, Ghulam Mustafa Jarwar, le directeur de l’information du groupe Kawish News Network, pour lequel travaillait Zulfiqar Mandrani, a confirmé qu’il ne pouvait croire un seul instant que son journaliste ait été tué dans le cadre d’un crime d’honneur. “La police se contente de nous dire que les deux suspects arrêtés ont confessé. Mais il n’y a eu aucune enquête pour tenter de trouver le réel mobile de ce meurtre.”


“L’enquête préliminaire menée par la police locale est manifestement viciée, puisque tout est mis en place pour que les commanditaires de l’assassinat de Zulfiqar Mandrani échappent à la justice, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Faire passer pour un crime d’honneur le meurtre d’un reporter, tué en raison des enquêtes qu’il menait, est absolument intolérable. Nous appelons le Premier ministre de la province du Sindh, Syed Murad Ali Shah, à diligenter une enquête indépendante depuis Karachi, la capitale régionale, afin de faire toute la lumière sur ce drame affreux.”


Justice parallèle


Dans la tradition pakistanaise, invoquer un “crime d’honneur” pour qualifier un meurtre permet, in fine, d’échapper à la justice pénale, et de s’en remettre à l’arbitrage du panchayat, sorte de conseil des sages institué dans chaque village. Les coupables d’un meurtre préfèrent ainsi s’en remettre à ce type de justice civile parallèle, à travers laquelle ils peuvent s’en sortir en obtenant un pardon de la famille  - moyennant, le cas échéant, compensation financière.


Zulfiqar Mandrani est le deuxième journaliste retrouvé mort dans la province du Sindh depuis le début de l’année. Le 16 février dernier, on retrouvait dans un canal le corps sans vie d’Aziz Memon, le visage et le cou ceints de fil de fer. Il travaillait lui aussi pour le groupe Kawish News Network.


En chute de trois places par rapport à 2019, le Pakistan se classe 145e sur 180 pays dans l’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.

Publié le
Mise à jour le 28.05.2020