Pakistan : les journalistes baloutches entre le marteau de l’armée et l’enclume des rebelles
Deux groupes rebelles du Baloutchistan, interdits par le gouvernement pakistanais, lancent un ultimatum aux médias de la région fixé au 24 octobre: “soit vous parlez de nous, soit nous vous attaquons”. Reporters sans frontières (RSF) condamne ces menaces inacceptables, et appelle les autorités civiles et militaires à laisser les journalistes faire leur travail.
Résultat, deux de ces groupes, le Front de libération du Baloutchistan (Balochistan Liberation Front, BLF) et l’Armée baloutche unifiée (United Baloch Army, UBA) ont lancé au début du mois un ultimatum, fixé au 24 octobre, à tous les journalistes de la région. Dans une déclaration publiée sur le site dailysangar.com, Gahram Baloch, le porte-parole du BLF, affirme que les journalistes doivent “se comporter convenablement”, sans quoi ils seront victimes de “représailles évitables”. “Après l’ultimatum, la distribution des journaux sera suspendue dans la région, poursuit le communiqué. Et nous avertissons les journalistes de se tenir éloignés de leurs bureaux et des clubs de la presse. Les professionnels des médias seront tenus responsables des dommages qui pourront les frapper.”
“Ces menaces sont d’une violence d’autant plus intolérable que cela fait plusieurs années que la situation des journalistes au Baloutchistan est devenue proprement intenable, rappelle Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Notre organisation appelle les groupes rebelles à renoncer immédiatement à tout acte de violence contre les journalistes. Au reste, cette situation absurde n’existerait pas si les autorités civiles et militaires du Pakistan ne violaient pas la liberté de la presse en empêchant les journalistes de faire leur travail dans cette région. Le Pakistan doit lever les entraves à la libre circulation de l’information dans l’ensemble du territoire, et bien sûr garantir la sécurité des journalistes.”
“Blackout total”
Le communiqué du BLF justifie l’ultimatum en accusant les médias locaux et nationaux d’un “blackout total” sur le Baloutchistan : “Les attaques des militaires ne cessent de se répéter, mais les médias étrangers sont proscrits de la région, tandis que les médias locaux sont réduits à répéter le récit officiel du gouvernement et de l’armée, selon lequel tout va bien.”
Khalil Ahmad, le président de l’Union des journalistes du Baloutchistan, a confirmé au représentant de RSF au Pakistan que les autorités régionales, qui considèrent les groupes rebelles comme “terroristes”, en interdisent toute mention dans les médias.
Tous les moyens sont bons pour faire taire les voix dissonantes. A commencer par l’arme économique, puisque beaucoup de journaux locaux reposent sur les annonces officielles comme principale source de recettes publicitaires. Autre moyen de pression, la justice : depuis 2008, 11 condamnations à des peines de prison ont frappé des journalistes et leurs éditeurs, pour avoir violé l’interdiction de parler d’organisations clandestines. Enfin, viennent les intimidations physiques, voire les actes de violence et de torture en provenance des services de renseignement, régulièrement critiqués pour leur brutalité.
Impunité
Depuis le début du conflit actuel, en 2006, une quarantaine de journalistes ont été assassinés. Et l’impunité est la règle : seuls quelques cas ont été suivis de poursuite.
Il est donc grand temps pour les autorités fédérales et régionales de prendre des mesures concrètes pour protéger les journalistes, et d’engager une réflexion plus profonde sur l’impasse dans laquelle se trouve la liberté de la presse au Baloutchistan. Comme le déplore un éditorial du quotidien pakistanais de référence Dawn, “rester en vie quand on est journaliste au Baloutchistan, c’est déjà une victoire”.
Les groupes armés baloutches ont fait leur entrée en 2013 sur la liste des prédateurs de la liberté de la presse établie par RSF. Les agences de renseignements du Pakistan figurent pour leur part dans la liste noire des prédateurs de 2016.
Le Pakistan est classé 139ème sur 180 pays dans l’édition 2017 du Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF.