Nouvelle campagne de haine contre l’éditorialiste indienne Rana Ayyub
Reporters sans frontières (RSF) dénonce avec fermeté la déferlante de menaces et de message haineux qui frappe la journaliste depuis une semaine, et demande aux autorités de faire toute la lumière sur la possible complicité de certains éléments de la police.
Tout est parti d’un message sibyllin posté sur Twitter le 8 novembre : la journaliste Rana Ayyub, éditorialiste au Washington Post, y écrit qu’elle “espère que [son] pays ne la décevra pas”. Elle faisait référence à une décision que la Cour suprême devait rendre le lendemain, au sujet du site d’Ayodhya - une cité du nord de l’Inde qui cristallise, depuis au moins trente ans, les passions entre hindous et musulmans.
Il n’en a pas fallu plus pour que le message de Rana Ayyub déclenche un tombereau d’insultes, d’appels au viol ou au meurtre à son endroit, orchestré sur Twitter par des trolls rattachés à la mouvance nationaliste hindous. Plus étonnant, la journaliste s’est vue menacée de poursuite judiciaire par le compte de la police de la ville d’Amethi, qui a publié le message suivant moins d’une demi-heure après le post initial de la journaliste : “Vous venez de faire un commentaire politique. Veuillez l’effacer immédiatement, sinon une action en justice sera intentée contre vous par @amethipolice.”
Amethi étant située à 100 kilomètres d’Ayodhya, la police de cette ville n’a aucune compétence sur ce site, ni sur la journaliste Rana Ayyub elle-même, laquelle réside à Bombay. Actuellement à l’étranger, elle a confié à RSF craindre d’être arrêtée à son arrivée sur le territoire indien en raison de cette menace, qui n’a pas été condamnée par le ministère de l’Intérieur.
“Une police qui veut poursuivre une journaliste parce qu’elle aurait émis un pseudo ‘commentaire politique’, cela évoque les pratiques des pires dictatures, regrette Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. De deux choses l’une : soit la police d’Amethi n’est pas à l’origine de ce message, comme elle s’en défend aujourd’hui, ce qui serait le signe d’un grave dysfonctionnement ; soit elle en est bien l’auteure, auquel cas cette institution se rend complice d’une campagne d’appels au meurtre. Dans tous les cas, c’est indigne d’une démocratie. Nous appelons le ministère de l’Intérieur à diligenter une enquête interne pour identifier les responsables de ce dysfonctionnement intolérable.”
Déferlante de haine
Auteure des Gujarat Files, un livre-enquête sur l'ascension au pouvoir de l’actuel Premier ministre Narendra Modi, largement réélu en mai dernier, Rana Ayyub est l’une des cibles privilégiées de la désormais célèbre armée de trolls au service du Bharatiya Janata Party, le parti au pouvoir.
En avril 2018, RSF avait dénoncé une déferlante de haine sans précédent contre la journaliste, dont les coordonnées téléphoniques et l'adresse avait notamment été publiées. L’organisation avait saisi dans la foulée la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, laquelle avait adressé un courrier aux autorités indiennes demandant la protection de la journaliste.
Ce type de campagne est orchestrée par des militants pro-Hindutva, du nom de la l’idéologie qui mêle fascisme et nationalisme hindou et qui se trouve être la matrice doctrinale du BJP.
En 2019, l’Inde se situe à la 140e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse de RSF.