Négligences policières et tensions nationalistes au centre de l'enquête sur l'assassinat de Hrant Dink

L'assassinat du directeur d'Agos, le 19 janvier dernier, a ravivé les tensions à l'œuvre dans la société turque. La réforme de l'article 301 du code pénal cristallise les oppositions, sur fond de négligence des autorités à protéger Hrant Dink.

Le 27 février 2007, le quotidien Milliyet a publié un article faisant état de négligences de la police d'Istanbul dans la protection du journaliste Hrant Dink. Cet article présentait la liste des sites à protéger, établie par la Direction de la sécurité d'Istanbul, suite à l'adoption de la loi relative à la pénalisation de la négation du génocide arménien par le Parlement français en 2006. Sur cette liste figuraient, à la 12e place, les bureaux de la rédaction d'Agos. Pourtant, les autorités n'ont pas jugé nécessaire de protéger le journaliste. Le lendemain de son assassinat, lors d'une conférence de presse commune, le préfet et le chef de la police d'Istanbul avaient même déclaré que Hrant Dink n'avait pas sollicité de protection policière. L'épouse du journaliste, Rakel, ses filles Sera et Delal ainsi que son fils Arat, se sont présentés le 13 février au parquet d'Istanbul pour apporter leur témoignage. L'un des avocats de la famille, Me Bahri Belen, a déclaré que les membres de la famille avaient déposé une plainte à l'encontre de ceux qui n'ont pas pris les mesures nécessaires pour le protéger. «Reporters sans frontières exhorte une nouvelle fois les autorités et le gouvernement turcs à mettre tout en oeuvre pour faire la lumière sur cette affaire et juger tous les responsables de la mort de Hrant Dink. Cet assassinat ne peut rester impuni, la justice doit être rendue. Nous demeurons inquiets quant aux menaces incessantes qui pèsent sur Agos. Nous espérons que le projet d'amendement de l'article 301 aboutira dans les meilleurs délais et que la question de la liberté de la presse fera l'objet d'un sérieux débat politique», a déclaré l'organisation de défense de la liberté de la presse. Depuis l'assassinat de Hrant Dink, le 19 janvier dernier, vingt-huit personnes ont été interpellées dans plusieurs villes de Turquie, dont huit ont été incarcérées. Néanmoins, des zones d'ombre subsistent. Yasil Hayal, le commanditaire présumé de l'assassinat, est revenu sur ses déclarations après avoir appris que Erhan Tuncel, un militant ultranationaliste étudiant à l'université de la mer Noire (Karadeniz), était un informateur de la police. Lors de sa deuxième audition, depuis la prison de Kandira dans la ville de Kocaeli, Yasil Hayal a confié au procureur que son premier témoignage avait pour but de protéger ErhanTuncel qui serait, selon lui, le «véritable commanditaire ». Il y a un an, ce dernier aurait informé à plusieurs reprises la police d'un projet d'assassinat contre Hrant Dink. Alors que l'enquête se poursuit, les menaces continuent de peser sur l'hebdomadaire Agos. Le 12 février, à Kayseri, dans le centre du pays, dix personnes ont été interpellées. Ces dernières étaient responsables d'avoir envoyé des mails menaçant le journal. Du matériel informatique a été saisi mais les suspects ont été relâchés. Enfin, le débat sur l'article 301 continue de prendre de l'ampleur à quelques mois des élections parlementaires (novembre) et de la présidentielle (mai). Le 14 février, à la suite d'une réunion des hauts représentants du parti AKP (Parti de la justice et du développement, que dirige le Premier ministre), le président adjoint du groupe, Faruk Celik, a déclaré : «Nous voulons que cette affaire soit achevée une fois pour toutes. Mais l'article ne sera pas aboli. Il sera amendé ou maintenu dans son intégralité.» A la demande du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan de «faire sortir l'article 301 de l'actualité», les membres du gouvernement et de son parti, se sont réunis le 19 février pour débattre d'une éventuelle réforme. Cette initiative n'a malheureusement abouti à aucune proposition concrète. Le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, s'est prononcé en faveur de l'amendement de l'artice 301 qui, s'il n'est pas réformé, pourrait nuire à l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne. Pourtant la nature de cette réforme éventuelle demeure inconnue. Les propositions successives des organisations de défense des droits de l'homme, réunies au sein de la plate-forme commune des droits de l'homme IHOP, et de l'Association turque des journalistes (TGC) n'ont pas été retenues. La TGC s'était notamment déclarée favorable à un remplacement de l'expression “d'identité turque” figurant dans le texte de l'article 301 par “le peuple turc”, dans le but de ramener son champ d'application aux affaires se déroulant sur le sol turc. L'onde de choc de l'assassinat de Hrant Dink continue d'ébranler la société turque, tandis que le fossé se creuse entre ultranationalistes et pro-Arméniens. Le 3 mars 2007, une messe a été célébrée en l'honneur du journaliste en l'église arménienne, Sainte Marie de Kumkapi, sur la rive européenne d'Istanbul. Quelque temps après, deux jeunes gens ont tiré des coup de feu en l'air afin d'impressionner les personnes venues se recueillir dans les jardins. Les policiers de la section antiterroriste d'Istanbul sont parvenus à interpeller Volkan Karaova et Yilmaz Murat Ozalp, identifiés grâce aux caméras placées à l'entrée de l'église, en possession d'un revolver chargé de balles à blanc. Selon les médias turcs, le parquet d'Istanbul a autorisé la prolongation de leur garde à vue de deux jours, afin d'approfondir les interrogatoires. Il y a trois mois, Volkan Karaova avait déjà été placé en garde à vue pour avoir tiré en direction d'une église grecque du quartier Eminonu à Istanbul.
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Updated on 20.01.2016