Les journalistes pakistanais dénoncent des cas de censure éhontée
Plusieurs cas de censure patente ont frappé cette semaine la presse pakistanaise. Témoignant sa solidarité avec les journalistes du pays, Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement le diktat qui leur est imposé par l’armée.
Ce fut une semaine noire pour la libre expression des journalistes au Pakistan. Une cinquantaine d’entre eux ont lancé hier, jeudi 19 avril, une pétition pour dénoncer les cas de censure qui se multiplient à leur encontre. Ils dénoncent le comportement de plusieurs médias qui refusent de couvrir les thèmes dont les militaires ne veulent pas qu’on parle. Nouveau sujet tabou : la couverture du Mouvement Pashtun Tahafuz (PTM), une organisation de défense de la minorité pachtoune du pays qui dénonce les exactions de l’armée.
Pour la première fois en dix ans, la direction du journal The News a censuré trois de ses rédacteurs. Elle a refusé de publier l’éditorial de Mosharraf Zaidi, qui avait voulu lancer le débat sur le PTM. Même interdiction pour le commentateur Babar Sattar, dont l’article sur le même sujet est passé à la trappe. Le 15 avril, un troisième article de Khan Zaman Kakar sur le PTM a été retiré du site du journal, sur ordre de la direction du groupe Jang, qui détient The News, mais aussi le réseau Geo TV, dont la diffusion a récemment été bloquée. Or, on a appris hier que la diffusion de la chaîne a été opportunément rétablie après négociations avec “l’establishment” - une métaphore pudique qui, au Pakistan, désigne les militaires.
“Les organes de presse en sont réduits à s’autocensurer pour pouvoir continuer à exercer. Le chantage grossier exercé sur la direction des médias pakistanais est une nouvelle preuve, s’il en fallait encore, du théâtre d’ombre auquel se livre l’armée pour faire taire les voix qui dérangent l’état-major du général Bajwa, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Le comportement des militaires rappelle les pires heures des régimes dictatoriaux qu’a connues le Pakistan, et mine gravement l’exercice démocratique. A quelques mois des élections générales, il est grand temps de laisser les journalistes animer le débat public en toute liberté, sans quoi le Pakistan perdra toute crédibilité internationale.
“Etat profond”
Autre exemple édifiant de censure : les chaînes de télévision du pays ont tout simplement coupé le son durant un discours prononcé le 16 avril par l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, destitué en juillet 2017. Le même jour, une haute cour du Pendjab avait rendue une décision demandant à l’organe de régulation de l’audiovisuel de censurer tout propos “anti-judiciaire” de Nawaz Sharif ou de sa fille Maryam. Alors que le le juge en chef de la Cour suprême du Pakistan s’est exprimé pour assurer aux médias que cette décision n’avait aucune valeur coercitive, les diffuseurs ont préféré l’autocensure en se pliant aux directives cachées : chaque extrait jugé “sensible” du discours de l’ancien Premier ministre a effectivement été passé sous silence.
Nawaz Sharif et sa fille dénoncent depuis plusieurs semaines les interférences secrètes des militaires sur le gouvernement civil et leur volonté de contrôler de près les prochaines élections générales. Avec des relais au sein de la magistrature, l’armée pakistanaise est souvent décrite comme un “Etat profond”, à savoir une entité informelle de décideurs qui imposent leur loi au-delà de tout pouvoir légal ou civil, et qui ne tolèrent pas l’exercice indépendant du journalisme.
Le Pakistan est classé 139ème sur 180 pays dans l’édition 2017 du Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF.