Les forces de l’ordre doivent respecter le droit du public à l’information

Reporters sans frontières a été alertée par plusieurs appels de journalistes, faisant état de difficultés rencontrées lors de la couverture de récentes manifestations contre la réforme des retraites. Un reporter de Canal + a notamment été victime de brutalités répétées de la part de membres des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) à Paris, le 17 octobre. Le même jour, un journaliste de Reuters s’est vu interdire de filmer et confisquer son matériel alors qu’il couvrait une « opération escargot » à proximité de Lyon, en raison d’une prétendue atteinte à la vie privée des policiers. Dans le cas du journaliste de Canal +, Reporters sans frontières s’est adressée à la préfecture de police afin d‘obtenir des explications. Elle n’a, à ce jour, reçu aucune réponse. Nous demandons aux professionnels des médias de nous signaler les entraves dont ils seraient victimes lors de la couverture d’événements, en nous contactant à l’adresse email suivante : [email protected]. RSF exige le respect du droit du public à l’information et rappelle que tout acte des forces de l’ordre empêchant le travail des journalistes constitue une entrave intolérable à la liberté d’expression. Reporters sans frontières rappelle à cette occasion quelques principes de base concernant les droits des journalistes. En particulier, il n’est pas interdit de filmer ou de photographier un agent de la police nationale ou d’une police municipale, un gendarme, un CRS, etc. Il suffit qu’ils participent à un événement d’actualité pour que la reproduction de leur image soit licite, car elle contribue à informer le public sur un sujet d’intérêt général. Le droit à l’information doit prévaloir La jurisprudence de la Cour de cassation est sans équivoque : « La liberté de communication des informations autorise la publication d’images de personnes impliquées dans un événement, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ». De plus, la Cour européenne des droits de l'Homme, sur le fondement du droit à la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme) n’a de cesse dans ses décisions de faire prévaloir la liberté d'expression sur toute autre considération lorsque l’information du public sur des questions d’intérêt général est en jeu. Les journalistes peuvent donc filmer ou photographier manifestants et forces de l’ordre, sans se voir opposer le droit à la vie privée ou le droit à l’image lorsqu’il s’agit d’illustrer des événements d’actualité. Ce n’est que dans des cas limités et prévus par la loi que la diffusion d’images d’un manifestation est limitée (et non leur captation par le journaliste). Ainsi, l’identité des fonctionnaires de police nationale, de militaires ou de civils du ministère de la Défense ou d’agents des douanes est protégée, en raison de leur appartenance à des services particuliers ou parce que leur mission exige, pour des raisons de sécurité, le respect de leur anonymat. Une infraction à cette protection expose à 15 000 euros d’amende (article 39-6° de la loi du 29 juillet 1881). L’arrêté du 27 juin 2008 a apporté quelques précisions. Il faut préserver l’anonymat notamment des policiers chargés de la lutte antiterroriste, de ceux de la Brigade de recherche et d’intervention criminelle, de la Direction centrale du renseignement intérieur, de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi des étrangers sans titre, de la Brigade de recherches et d’investigations financières, des membres du RAID ainsi que du groupe de sécurité de la présidence de la République. Les autres exceptions, concernant la couverture d’une manifestation, sont la présence totalement fortuite d’un tiers et la réutilisation, hors contexte, de clichés ou de captations alors que l’événement en cause n’est plus d’actualité. Refuser la saisie du matériel Rien n’oblige les journalistes à se soumettre aux injonctions des forces de l’ordre, en remettant leur matériel ou en supprimant des clichés. Seules les saisies de matériel, dans les conditions légales et strictement déterminées par la loi, sont possibles (voir le communiqué de RSF du 22 décembre 2009) En plus de violer les droits du journaliste, en entravant directement le travail d’information, la saisie du matériel risque d’entraîner une violation du secret des sources en permettant des identifications. En effet, il est fréquent qu’en marge des manifestations des personnes s’expriment sous couvert d’anonymat. Le secret des sources des journalistes est désormais protégé par loi du 4 janvier 2010.
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016