La justice persiste et signe dans l'affaire Sik et Sener

Reporters sans frontières s’indigne du rejet de l’appel contre la détention provisoire d’Ahmet Sik et Nedim Sener ce jeudi 17 mars. Les journalistes d’investigation, arrêtés le 3 mars, vont rester en prison encore plusieurs mois dans l’attente de leur procès pour « appartenance à l’organisation terroriste Ergenekon ». Le tribunal a annoncé le maintien en détention des journalistes, en vertu de l’article 100 alinéa 3 de la Loi sur les procédures pénales (CMK) utilisé s’il y a risque que "le prévenu prenne la fuite », « dissimule ou détériore les preuves », ou « exerce des pressions sur les témoins ». L’argument est totalement absurde et nous sommons la justice de rendre publiques les charges qu’elle déclare avoir contre les deux hommes. Cette décision intervient alors que la mobilisation reste très forte en Turquie et à l’étranger en faveur de la libération des journalistes. Évènement inédit dans le pays, pour la deuxième semaine consécutive, plus de 5000 personnes ont manifesté dimanche 13 mars à Istanbul à l’appel de la Plateforme Liberté aux journalistes (GÖP). L’opération policière d’envergure du 3 mars a suscité de multiples réactions internationales pour condamner les graves atteintes à la liberté de la presse. Dans une lettre au portail Bianet le 16 mars, Ahmet Sik déclare qu’il ne « sait pas pourquoi il est en prison » mais est « conscient que son arrestation est éminemment politique ». Il venait d’achever la rédaction d’un livre sur l’influence du mouvement de Fetullah Gülen au sein de l’Etat turc et de la police nationale. De nombreux commentateurs relèvent que ces révélations auraient pu être gênantes à quelques mois des élections législatives, prévues pour juin 2011. Le lancement de l’enquête sur le réseau Ergenekon en juin 2007 a entraîné l’arrestation de centaines de personnes. Initialement saluée comme un progrès démocratique parce qu’elle osait pour la première fois toucher à la hiérarchie militaire, cette enquête a entraîné un vaste mouvement répressif dont témoigne le maintien en détention de Sik et Sener. Reporters sans frontières réitère son appel pour une libération immédiate et sans conditions d’Ahmet Sik et Nedim Sener. En Turquie, tout journaliste voulant enquêter sur des sujets liés aux structures sécuritaires de l’Etat ou aux minorités nationales s’expose à des poursuites judiciaires. Reporters sans frontières suit avec attention le procès d’Ertugrul Mavioglu, jugé dans les prochains jours pour avoir interviewé un dirigeant du PKK dans le cadre d’un reportage au Kurdistan. Il est déjà poursuivi avec Ahmet Sik pour deux livres sur l’affaire Ergenekon.
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Updated on 20.01.2016