La Haute Cour du Sindh ordonne la fin de la censure abusive de sites Internet

Le 17 avril 2012, selon un communiqué de presse publié par Bolo Bhi, association pakistanaise de défense des droits civiques, un groupe de militants des droits de l’homme a déposé une requête constitutionnelle devant la Haute Cour du Sindh, pour contester la censure abusive de plusieurs sites web, infligée par la Pakistan Telecommunication Authority (PTA) . Cette requête exige, conformément aux articles 4, 9, 10-A, 18, 19, 19A, 20 et 25 de la Constitution pakistanaise, qu’aucun site ne puisse être bloqué, censuré ou même limité. Elle a été dûment examinée par la Haute Cour du Sindh, qui a notifié à la Fédération du Pakistan et ordonné à la PTA de ne plus bloquer aucun site, à moins que cette décision ne soit en accord avec le PTA Act de 1996. Cette loi régit la façon dont le Pakistan Telecommunication Authority exerce son pouvoir sur les réseaux de communication et exige, entre autres, que le PTA agisse de manière équitable et transparente. Le jugement rendu par la Haute Cour remet ainsi en question tout projet de système de filtrage national. Reporters sans frontières tient à saluer cette décision de justice qui vient sanctionner le manque de transparence de blocages précédemment effectués par l’autorité des télécommunications pakistanaise. L’organisation appelle néanmoins à la vigilance, car le PTA pourrait, pour la contourner, concevoir un processus constitutionnellement conforme en se basant sur la loi anti-blasphème et les dispositions de sécurité nationale. ------------------ 10 ONG interpellent les autorités pakistanaises sur le projet de filtrage 04.04.2012 A l’initiative de Bolo Bhi, association pakistanaise de défense des droits de l'homme, dix ONG, dont Reporters sans frontières, ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre pakistanais ainsi qu’au ministre des Technologies de l’Information afin qu’ils prennent un engagement officiel et écrit sur l’abandon du projet de système de filtrage national. Ce courrier fait suite à une interview de Mme Bushra Gohar, députée à l’assemblée nationale, effectuée par l’association, lors de laquelle elle rapportait que le secrétaire du Ministère des Technologies de l’Information, M. Farooq Awan, s’était verbalement engagé en faveur de l’abandon du projet. Cette information avait également été relayée dans la presse par The Express Tribune. Le 30 mars dernier, l’association Bytes for All, une organisation de défense des droits de l'homme spécialisée dans ​​les technologies de l'information et de la communication, avait mis en doute la fiabilité de cet article, suggérant que cette déclaration pouvait être une “démarche stratégique pour mettre fin aux protestations”. Lire la lettre : Global Coalition Of NGOs Call For Official Withdrawal Of Pakistan Censorship Plans Les ONG signataires : Access Now, ARTICLE 19, Bolo Bhi, Electronic Frontier Foundation, Center for Democracy & Technology, Citizen Lab , CPJ, Global Voices Advocacy, Index on Censorship et Reporters sans frontières. ------------------ Le gouvernement cherche à mettre en place un système national de filtrage 02.03.2012 Reporters sans frontières a adressé, le 2 mars 2012, une lettre ouverte au Premier ministre pakistanais, en charge du ministère des Technologies de l’information, ainsi qu’au président du Fonds national de recherche et développement rattaché au ministère, pour dénoncer le projet de système de filtrage national. D’après le Daily Times, plusieurs entreprises internationales auraient déjà répondu à un appel d’offres émis par le Fonds, en février. Le coût total du dispositif se chiffrerait à 10 millions de dollars. Reporters sans frontières appelle les entreprises à renoncer à collaborer avec les censeurs, sous peine d’être responsable, au même titre que le gouvernement, de la mise en place d’une véritable muraille électronique. Une pétition a été lancée pour appeler les entreprises à ne pas répondre à l’appel d’offre du gouvernement. --------------- Yousaf Raza Gillani Premier ministre, Ministre chargé du ministère des technologies de l'information, Dr. Mohammed Yaseen Président de l'Autorité pakistanaise des télécommunications, Syed Aun Abbas Président du Fonds national de recherche et développement en technologies de l'information et de la communication, Paris, le 2 mars 2012, Monsieur le Ministre des Technologies de l’information, Monsieur le président de l'Autorité pakistanaise des télécommunications Monsieur le président du Fonds national de recherche et développement en technologies de l’information et de la communication, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté d’information, souhaite vous faire part de sa vive inquiétude suite à la publication, le 2 février 2012, d’un appel d’offres destiné au déploiement d’un système national de filtrage et blocage du Net. Vous appelez les entreprises privées, les organisations et les universitaires à soumettre des propositions pour mettre en place un système permettant de filtrer et bloquer des millions de sites web “indésirables”. Dans votre cahier des charges, vous précisez que ce système devra permettre de bloquer des contenus jugés “indésirables” par nom de domaine (Domain Name Server, DNS), et en utilisant une technologie dite de “DPI” (Deep Packet Inspection). Il devra également être capable de bloquer certaines adresses IP. Reporters sans frontières vous appelle à renoncer à un tel projet, qui vient renforcer l’arsenal de surveillance des communications et de censure du Net déjà mis en place par votre gouvernement. Vous déclarez dans cet appel d’offres qu’il n’y a ni restriction majeure, ni réel filtrage en ce qui concerne l’accès à Internet au Pakistan. C’est sans compter les milliers de sites bloqués dans le pays. La sévère loi sur la cybercriminalité (Prevention of Electronic Crimes Ordinance), qui permet notamment de bloquer la diffusion de contenus hostiles au gouvernement, constitue déjà une mesure de restriction de l’accès à l’information que notre organisation considère comme abusive. Certains sites d’opposition, et en particulier ceux de la communauté baloutche, sont rendus inaccessibles sur le fondement de ce texte. La loi sur le blasphème n’est pas non plus sans conséquence sur la liberté d’expression en ligne : les sites du réseau social Facebook et de la plate-forme de vidéos Youtube ont déjà été entièrement bloqués, en mai 2010 et février 2008 respectivement, pour des caricatures du prophète Mahomet. Notre organisation souhaite rappeler son opposition de principe au filtrage du Net, position partagée par Frank La Rue, rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, qui recommande “des restrictions aussi limitées que possible sur la circulation de l’information via Internet, sauf dans des circonstances précises, exceptionnelles et limitées, en accord avec les standards internationaux”. Il a également déclaré que “le droit à la liberté d’expression devrait être la norme et les limitations, des exceptions”. Le filtrage du Net, outre des conséquences évidentes sur la fluidité de la connexion Internet, comporte toujours des risques réels de “surblocage”. Les défaillances des outils de filtrage peuvent rendre inaccessibles des sites d’information initialement non visés. Nous sommes d’ailleurs désireux d’obtenir davantage de précisions sur le type de contenus visés par votre ministère. L’adjectif “indésirable”, employé dans l’appel d’offres, est en effet très vague et surtout subjectif. Quels sont les fondements et leur validité juridique vous permettant de décider du blocage de l’accès à l’information en ligne pour les vingt millions d’internautes pakistanais? Par ailleurs, comment pouvez-vous garantir que la technologie de DPI, qui permet d’intercepter toutes sortes de communications, telles que des emails, des appels téléphoniques, des images ou des messages postés sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter etc), ne sera pas détournée à des fins de surveillance des internautes et de traque des dissidents ? La mise en place d’un système doté d’une telle capacité de surveillance nous inquiète particulièrement dans le contexte d’insécurité croissante pour les médias au Pakistan, notamment du fait des agences gouvernementales de renseignement et de sécurité, qui pourraient décider de faire usage de ces technologies. Vous précisez que la liste noire des sites interdits sera chiffrée et uniquement accessible à l’équipe responsable d’établir la base de données centralisée des sites jugés indésirables. Il s’agit là d’une concentration de pouvoir disproportionnée, qui donnerait une mainmise totale sur le filtrage du Net à un groupe exonéré de tout contrôle, sans aucune transparence démocratique, et dont les décisions seraient opaques. Nous vous pressons de renoncer à ce projet de système national de filtrage, contraire aux droits fondamentaux de vos compatriotes, à la liberté d’information en ligne et au respect de la vie privée. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre demande et, dans l’attente d’une réponse favorable, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations respectueuses. Olivier Basille, directeur de Reporters sans frontières
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Updated on 20.01.2016