Egypte : mise sous tutelle de quatre médias indépendants
Quatre médias égyptiens indépendants sont en train d’être nationalisés de manière détournée. Reporters sans frontières (RSF) exprime sa vive inquiétude face à de nouvelles mesures gouvernementales qui contribuent à mettre sous tutelle des médias égyptiens accusés de liens avec les Frères musulmans.
D’un point de vue légal, le gel des comptes des personnes ou des compagnies ainsi placées sur la liste noire du régime est infondé, car cette mesure est mise en oeuvre de manière purement administrative par un comité chargé de saisir et gérer les biens du millier de personnes accusées de liens avec les Frères Musulmans, sans que la moindre enquête n’ait abouti ou qu’une décision de justice n’ait été rendue.
“Le gel inconstitutionnel des comptes des propriétaires de médias ou des médias eux-mêmes, ainsi que le placement de ces derniers sous l’administration d’un média gouvernemental s’apparentent à une nationalisation forcée, dénonce Reporters sans frontières qui alerte par ailleurs du risque que fait peser une telle opération sur l’indépendance éditoriale des médias concernés”.
Nationalisations par proxy
Ce gel et cette mise sous tutelle d’un média gouvernemental sont des “nationalisations par proxy”, confirme Khaled el Balshy, rédacteur en chef du site d’opposition Al Bedaiah et journaliste fondateur du Comité des libertés qui défend les droits des journalistes. D’après Khaled el Balshy, “certains médias, tels le Daily News - Egypt et Borsa qui avaient récemment refusé des offres de rachat, sont ainsi contrôlés d’une autre manière.” Préalablement à la mise sous tutelle de quatre des derniers médias indépendants égyptiens, des hommes d’affaires proches du pouvoir et des services de renseignements ont lancé une campagne de rachat de groupes médiatiques, qui a indirectement permis au régime du président Al-Sissi de renforcer son contrôle de la presse.
“Le Daily News - Egypt est un exemple qui révèle comment la sphère publique continue de se réduire peu à peu en Egypte, commente pour sa part Amira el Fekki, l’une des rédactrices du quotidien anglophone. “Entre autres, le journal a été désigné à tort comme favorable politiquement à un certain groupe, une accusation utilisée arbitrairement pour susciter l’hostilité envers les médias indépendants”.
Historiquement, le quotidien Daily News Egypt (DNE) adoptait une ligne éditoriale neutre envers le pouvoir et ouvrait ses pages au journalisme d’investigation avec des enquêtes sur les exécutions extrajudiciaires. En décembre 2016, Mostafa Sakr, actionnaire de Business News, le groupe auquel appartiennent DNE et le journal financier Borsa, a vu son nom apparaître sur la liste des comptes à geler. Dès le mois suivant, les publications de DNE ont cessé de remettre en cause les discours du ministère de l’Intérieur dans le cadre de la lutte antiterroriste. Le nombre d’interviews d’opposants politiques a aussi nettement diminué.
Cette prudence nouvelle n’a pourtant pas évité à DNE ni au journal Borsa de voir leurs sites internet bloqués dans le cadre d’une campagne de censure qui affecte désormais plus de 400 sites, dont celui de RSF.
Accuser, sans fondement, des médias de soutenir les Frères musulmans sert “en partie à justifier le blocage des sites sur internet” explique Adel Sabry, le rédacteur en chef de Masr al Arabiya, dont le site bloqué est sur le point d’être pris en main par Akhbar el Youm.
L’Egypte figure aujourd’hui à la 161ème place (sur 180) du Classement 2017 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.